A bien des égards, les premiers pas d’une startup s’avèrent décisifs. Impréparation au changement, cupidité des uns, naïveté des autres : les pièges qui guettent les fondateurs alors que leur entreprise babille à peine sont légion. En sombrant dans ces chausse-trappes, les partenaires risquent tout simplement de mettre en péril leur création. Toutefois, ainsi que l’affirme Mike Moyer, ces obstacles souvent mortels sont, pour certains, aisément évitables. Multi-entrepreneur américain et professeur à l’université, ce dernier est l’auteur, entre autres, du livre Slicing Pie. Il y donne les clés pour distribuer le plus équitablement possible entre les fondateurs la propriété de l’entreprise au moment de sa naissance, c'est-à-dire avant même qu’elle ne soit rentable. La formule dynamique que Mike Moyer propose ne fige pas dans le marbre cette règle de répartition, anticipe le changement et contourne les conflits qui ne tarderaient pas à survenir sans elle.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » assurait Albert Camus. De même, mal répartir d’entrée les capitaux propres des fondateurs d’une entreprise qui débute revient à ajouter au malheur de celle-ci. La découpe du petit gâteau des startups est tout un art. Mal objectiver en amont le partage de la propriété d’une entreprise peut mener au désastre et se révéler inutilement coûteux en argent comme en énergie ou en réputation.
La distribution figée des parts du gâteau, une fausse bonne idée
Souvent, lorsque naît une startup, ses fondateurs estiment que figer le nombre de parts de chacun à l’avance allie deux atouts : équilibre et simplicité. Or, la réalité peut s’avérer bien cruelle pour ceux qui auront fait ce choix-là. En effet, le partage fixe signifie que des morceaux de capitaux propres sont distribués aux participants à l’aventure selon des montants préétablis en prévision de la création de valeur par l'entreprise.
Trop optimistes, nos fondateurs de start-ups ? Sans doute, car prédire l'avenir avec précision relève de la gageure pour la plupart d’entre nous. Ajoutez à cela la tâche impossible de mesurer la valeur ajoutée et vous obtenez la recette de l'échec. Le partage fixe de l’equity est fréquemment à la source de féroces négociations, aboutissant à des conflits larvés entre partenaires voire à de longs et coûteux contentieux que tous subissent.
Demandez au fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, ce qu’il en pense. Il offrit à son ami, Eduardo Saverin 30% du réseau social lorsqu’il fut lancé en 2004 en échange d’un investissement de 15 000 dollars et de ses compétences financières. La division initiale du capital a tourné au vinaigre à mesure que la société se transformait et que Saverin se désintéressait de la vie de l’entreprise.
Lorsque Zuckerberg choisit de récupérer les parts de Saverin à partir de 2005, il se retrouva in fine devant les tribunaux et, en 2012, accepta de transiger sur une somme qui avoisinait plusieurs milliards de dollars. Saverin, a gagné gros sans avoir investi ni trop d’argent ni trop d’effort dans Facebook grâce à un accord initial qui lui fut immensément avantageux au vu de l’évolution de la startup.
Un partage du gâteau évolutif et équitable
La raison d’être du concept de Slicing Pie revient précisément à lutter contre l’iniquité que ce type de situations présente. Dans le contexte d’une startup, plus un partenaire participe à son succès, plus il prend de risques. En effet, avant qu’elle n’atteigne le seuil de rentabilité, la startup aligne les dépenses sans réellement enregistrer de recettes. Toute contribution des fondateurs ne sera compensée financièrement que si l’entreprise devient rentable.
S’appuyant sur ses expériences dans des startups et dans le monde du salariat, Mike Moyer a donc élaboré un système de partage des capitaux dynamique et équitable qui intègre le risque, élément fondamental pour une startup, autour duquel son business model est bâti. Chacun reçoit en fonction de ce qu’il apporte au développement continu de l’entreprise : selon la formule de Moyer, la part de gâteau que chacun obtient est égale au ratio entre sa contribution à la valorisation de la startup et la valeur théorique totale de celle-ci.
Une part de gâteau représente donc une unité de mesure fictive qui reflète les risques non encore compensés que les partenaires prennent pour développer la startup. A chaque contribution correspond un certain degré d’investissement en fonds abondés, en temps consacré, en idées apportées, en matériel acheté ou en carnet d’adresses fourni. La totalité de cet investissement correspond à la valeur théorique de la startup.
Savoir valoriser le risque
Cependant comment chiffrer le risque pris par chacun des contributeurs ? Mike Moyer propose de valoriser la « contribution individuelle à risque » en fonction de sa juste valeur marchande. Tel service rendu à la startup (développer un logiciel, faire rencontrer un business angel, louer un bureau, etc.) n’est certes pas financièrement compensé par la startup mais possède en tout état de cause une valeur sur le marché. Ainsi le prix de chaque poste d’investissement est estimé en fonction de sa valeur théorique sur le marché – par exemple, le salaire horaire d’un développeur, le montant d’une prestation de service, le prix d’un achat de fourniture de bureau, etc.
Ensuite, chaque type de contributions individuelles est ajusté grâce à l’application de multiplicateurs. Dans le modèle décrit par Moyer, le multiplicateur est plus élevé pour de l’argent investi que pour du temps consacré. Libre à chacun cependant d’adapter sa formule selon la tournure des discussions entre partenaires, leurs envies et leurs principes. Le système de Moyer est avant tout flexible et c’est là que réside l’un de ses principaux atouts.
Prenons l’hypothèse où Jean, un développeur, a une idée d’application sportive. Jade, spécialiste du marketing, adore le concept et accepte de le vendre à ses contacts qui pourraient être intéressés quand l’idée sera prête. Ils se partagent les fonds propres à hauteur de 60 % pour Jean et 40 % pour Jade. La répartition est figée ab initio.
Jean quitte son emploi et travaille à plein temps pendant un an pour préparer l'application à la vente. Jade est passée à autre chose et ne veut pas vendre l'application, mais souhaite quand même conserver ses 40 % parce qu'elle a investi 5 000 euros. Une situation qui induit nécessairement des conflits entre les deux fondateurs. Slicing Pie ne permettrait pas à Jade de se comporter de la sorte. Toutefois, la formule de Moyer la traiterait quand même de manière équitable.
En effet, en décidant de mettre en œuvre la répartition adaptative et équilibrée de Slicing Pie, outre sa mise de départ, Jade aurait indiqué initialement qu’elle ne comptait pas abandonner son travail mais qu’elle aiderait selon le temps dont elle disposerait, la vente de l’application et surtout qu’elle ouvrirait son carnet d’adresses. Jean, vu son investissement, détiendrait initialement 60 parts et Jade 40.
La contribution de Jade est ainsi calculée en fonction de son investissement financier principalement, auquel se seraient ajoutées quelques études marketing et la mise à disposition de son carnet d’adresses. Un an après, il est clair que sa contribution individuelle ajustée et ramenée à la valeur théorique de la startup n’aurait plus été la même : Jean qui consacre tout son temps à la startup est désormais détenteur de 90 parts de gâteau quand Jade n’en détient plus que 10.
Il va sans dire que ce système s’applique tant que le seuil de rentabilité de la startup n’a pas été atteint, c’est-à-dire avant qu’elle ne dégage suffisamment d’argent pour récompenser chacun des détenteurs de parts de gâteau. En effet, si les partenaires étaient payés pour le temps consacré ou bien pour les idées apportées, s’ils se voyaient rembourser les dépenses auxquelles ils ont consenti en faveur de l’entreprise, le risque n’existerait plus.
Une répartition équitable des parts en cas de départ de l’un des fondateurs
L’élégance du concept Slicing Pie repose en outre sur le fait qu’il s’applique à deux stades critiques de développement de l’entreprise. Il vaut pour la distribution de la valeur théorique de l’entreprise entre partenaires non seulement avant que le seuil de rentabilité ne soit atteint, mais aussi dans l’hypothèse d’un départ de l’un des partenaires.
Lorsque l’un des fondateurs de la startup s’éloigne, les cartes sont rebattues entre les partenaires restants. La formule de Moyer étant dynamique, cette évolution est prise en compte de façon naturelle. Quant à celui qui quitte le navire, le montant de la compensation du risque pris varie selon qu’il s’agisse d’un licenciement avec ou sans cause, ou bien d’une démission justifiée ou non.
Imaginons que Jade ait bien ouvert son carnet d’adresses et ait même quitté son travail. L’application développée par Jean s’est ainsi vendue et est un an plus tard rentable. Jade est désormais directrice marketing de la startup dont Jean est le CEO. Selon le modèle Slicing Pie auquel Jean et Jade ont décidé initialement d’adhérer, Jean possède toujours 60 parts et Jade 40 autres.
Cependant, Jean souhaite changer de directeur marketing estimant que l’entreprise a besoin de passer un cap pour se développer et que le carnet d’adresses de Jade n’est plus suffisant. Il décide donc de licencier Jade. Slicing Pie prévoit que dans ce cas, Jade n’ayant commis aucune faute, soit libre de conserver ses parts du gâteau non compensées ou bien d’accepter le rachat de celles-ci à leur valeur théorique sur le marché.
A n’en pas douter, si Zuckerberg avait rédigé un contrat avec Saverin mettant en œuvre la formule de Moyer, son ancien ami aurait reçu une somme bien moindre en 2005 que celle à laquelle Zuckerberg a finalement consentie en 2012…
Un modèle formidable pour lancer une entreprise de nouvelle génération
Slicing Pie figure donc un formidable outil à la main de toutes les startups qui souhaitent s’éviter des ennuis qui pointeront nécessairement le bout de leur nez mais qu’ils ne peuvent prévoir lorsqu’ils lancent leur petite entreprise. Le modèle élaboré par Mike Moyer ne tire pas de plans sur la comète. Au contraire, il repose sur des éléments tangibles et mesurables permettant d’estimer le risque et de calculer la valeur d’une startup. Son créateur assure que son concept est universel, valide dans tout système économique et compatible avec tout cadre juridique : Slicing Pie est même appliqué en Iran !
Véritable pacte moral entre les associés penchés au-dessus du berceau de leur nouveau-né, Slicing Pie empêche les plus cupides de prendre l’avantage sur les autres. Chercher l’équité dès le début pour un succès au bout du compte, tout en évitant les coûts futiles et les coups inutiles… Outil éthique par excellence, le modèle élaboré par Mike Moyer consacre une relation de confiance entre partenaires, couronne les efforts de chacun et motive les fondateurs à réussir ensemble.
La large propension des startups à fixer la distribution de ses capitaux propres entre fondateurs alors même qu’elle n’a pas commencé à produire de résultats démontre cependant que beaucoup n’hésitent pas à mettre la charrue avant les bœufs. Mieux vaut rester pragmatique, nous prévient Mike Moyer, prendre le temps de l’équité et préférer une formule qui s’adapte aux changements pour coller le plus possible à la réalité.
Or, face à la vitesse de mutation des marchés, la réalité nécessite que les entreprises soient réactives, souples, flexibles pour s’adapter en permanence … tout ce que ne permet pas le système de répartition fixe des parts des fondateurs d’une startup. A l’opposé, Slicing Pie se présente comme un concept dynamique de distribution des parts du capital des startups, une formule organique, vivante, un système adapté aux transformations rapides de leur environnement et aux aléas de la vie de groupe. Un modèle sur mesure pour les entreprises de nouvelle génération, en somme.