En 2005, Zhang Ruimin, directeur général du conglomérat d’électroménager chinois Haier, comprend que ses concurrents ont rattrapé la réactivité légendaire d’Haier à son marché, et menacent sa position de leader. Pour se démarquer, il faudrait qu’Haier puisse créer ses produits en collaboration directe avec ses clients. Il imagine la refonte de leur organisation en un réseau d’unités indépendantes et autoorganisées. Mais comment faire fonctionner un conglomérat de plusieurs dizaines de milliers de personnes en petites unités autonomes ?
Proche du dépôt de bilan en 1984, le conglomérat chinois Haier n’en est plus à sa première transformation. La première débuta devant l’usine juste après l’arrivée de leur nouveau directeur général, Zhang Ruimin, à grands coups de marteau dans les réfrigérateurs défectueux : le message était clair, Haier serait désormais synonyme de qualité. Mais leurs concurrents finissent par rattraper leur retard dans les années 1990, et la qualité n’est plus un facteur de différenciation. Zhang décide alors d’enclencher leur deuxième transformation. Ils se différencieront en offrant à leurs clients des produits innovants parfaitement adaptés à leurs besoins. Des équipes transversales sont alors constituées pour travailler sur des projets spécifiques, et chaque unité de travail (« market chain ») est capable de retracer l’impact de ses actions sur le marché.
On peut comparer une entreprise à un ordinateur. Si l'ordinateur est connecté à un réseau, il devient très puissant. Sinon, il ne sert à rien. - Zhang Ruimin, CEO de Haier
Mais en 2005, Zhang se rend compte que non seulement leurs concurrents chinois ont eux aussi atteint un haut niveau de réactivité aux besoins du marché, mais il détecte également deux problèmes majeurs dans leur fonctionnement :
• Les délais de mise sur le marché de leurs produits sont trop longs
• Leur estimation des productions sont approximatives, provoquant des sur- et sous-stocks très coûteux
Pour résoudre ces problèmes, il décide d’inverser la structure organisationnelle du groupe et d’adopter un modèle basé sur des structures autoorganisées appelées ZZJYT (abréviation de zi zhu jing ying ti qui signifie unité opérative indépendante). L’objectif : amener les fonctions clés – marketing, design et production – à travailler en contact direct avec les consommateurs afin de comprendre leurs besoins, et anticiper les différentes étapes pré- et post-production dès la conception du produit.
Chaque ZZJYT se compose de 10 à 20 personnes, parfois réparties sur plusieurs locations différentes, et chacune est issue d’une fonction spécifique (Marketing, Design, Production, Finance, R&D…). Ces entités sont créées pour répondre aux besoins d’un projet spécifique, comme par exemple créer une nouvelle climatisation pour le marché chinois qui soit également un filtre à air. Chaque membre d’une ZZJYT travaille directement avec les consommateurs et les autres fonctions impliquées dans le développement du produit. Les délais de mise sur le marché sont donc drastiquement réduits car dès la phase préliminaire du projet, des étapes avales comme la production ou l’après-vente travaillent de concert avec le design ou le marketing. De plus, l’estimation des besoins de production devient aussi plus précise car les équipes ont une meilleure visibilité de la demande sur le marché.
Mais pour que les ZZJYT soient vraiment efficaces et réactives, il faut qu’elles soient autonomes. Ainsi chaque ZZJYT est responsable des profits et des pertes générées par son projet, et autonome pour recruter ou licencier des employés, pour dépenser et gérer son budget, ou encore pour définir les règles de distribution des bonus : elle a toute liberté de prendre des décisions opérationnelles sans besoin de validation de ses supérieurs.
D’ailleurs, il n’y a plus vraiment de supérieurs dans cette configuration, mais plutôt des rôles relatifs aux ZZJYT et non plus aux individus, organisés en 3 niveaux. Le premier niveau regroupe les unités directement responsables d’un projet opérationnel, qui sont en contact étroit avec leurs marchés et clients. Les ZZJYT du second niveau n’ont pas un rôle de contrôle mais ont pour fonction d’aider les ZZJYT du premier niveau à réaliser leurs missions en leur fournissant les ressources et conseils dont elles peuvent avoir besoin. Le troisième niveau de ZZJYT comprend des managers qui ont pour fonction de fixer la stratégie globale du groupe et de proposer de nouveaux projets.
Les différentes ZZJYT sont également liées entre elles par des contrats internes. Par exemple, si une ZZJYT a besoin d’une étude de marché sur une région spécifique, elle envoie sa demande aux ZZJYT en charge de la réalisation de telles études. Si aucune n’est en mesure de répondre à sa demande, la ZZJYT chercher alors à collaborer avec des organisations externes (start-ups, universités, centres de recherche), en particulier pour des besoins technologiques. Le concept d’open innovation est très fortement intégré dans la culture d’Haier.
Les ZZJYT ne sont pas assignées de manière permanente à un projet ou à un rôle fixe, mais sont formées au gré des besoins clients détectés et des projets de l’entreprise. Les projets à développer sont sujets à une compétition interne. Chaque employé volontaire peut alors concourir pour devenir leader du projet qui l’intéresse, en présentant une proposition de business modèle. Les propositions sont jugées par le troisième niveau des ZZJYT suivant la qualité de l’idée du produit/service, l’attractivité de son business model, et la faisabilité de son projet pour la mise sur le marché.
Une fois désigné, le leader a alors la charge de recruter son équipe sur le marché interne du travail de Haier, et de constituer sa « communauté d’intérêt » (comprenant l’ensemble des intervenants sur un projet, internes et externes). En fonction des compétences des employés et de leurs contributions passées à certains projets, différentes positions leur sont proposées dans les ZZJYT en constitution. Ils peuvent alors choisir d’intégrer la ZZJYT qui convient le mieux à leurs appétences.