Notre métier de coach agile, à la frontière entre plusieurs pratiques, est un des plus demandés par les organisations qui cherchent à se transformer. Et c’est aussi un métier en train de s'écrire et de se définir au fur et à mesure de son déploiement. Mais cet aspect intéressant porte aussi le revers de sa médaille, qui est que l'on a parfois du mal à définir, pour les autres et pour nous-mêmes, son contenu exact. Dans le cadre de la première manifestation en France d’« Heart of Agile », un événement conçu par Alistair Cockburn (un des signataires du Manifeste Agile) pour continuer à réfléchir sur les valeurs de l’agilité, nous avons eu la chance de pouvoir animer un atelier destiné à réfléchir à ces questions. L'angle d’analyse que nous avons pris a été celui du rapport entre le coaching pratiqué par les coachs professionnels et le coaching pratiqué par les coachs agiles.
Pour réfléchir ensemble, et aussi parce que cela constitue une bonne partie de notre pratique professionnelle au quotidien, nous nous sommes tout de suite dirigés vers un atelier réellement participatif.
Le format que nous avons choisi : celui du « double tour », un classique pour faire émerger des propositions divergentes de la part d'un groupe de taille moyenne contraint par une durée limitée, 1h30, et nous avons décidé de limiter le nombre de participants à cet atelier à 12 personnes, pour être sûrs que chacun dispose d'un temps de parole suffisant.
Le format du double tour, comme son nom l’indique, fonctionne de la façon suivante :
Le propos de cet article est de vous partager les productions intellectuelles de ce groupe de 12 personnes avec pour objectif de vous permettre de vous positionner par rapport aux différentes opinions exprimées… que nous nous garderons bien de hiérarchiser ou de critiquer !
Pendant l'atelier, au fur et à mesure que les opinions étaient proposées par les participants dans leur temps de parole, nous les avons prises en note et nous avons essayé de les classifier pour faire apparaître des points de vue communs ou divergents. Nous avons fait apparaître quatre grandes questions pour rassembler les différentes opinions.
La plupart des participants se sont accordés pour parler du coach professionnel comme d'un praticien qui intervient sur les questions de développement personnel lié à l'exercice d'un métier (nous ne parlons pas ici ni de coach de vie ni de thérapeute). Le groupe a parlé du coach professionnel comme d’un intervenant qui ne doit pas conseiller l’accompagné, mais l’aide à trouver des réponses par lui-même en passant par un chemin de progression intérieure. Sa responsabilité est différente de celle d'un psychologue ; il ne cherche pas à mener la personne qu’il accompagne vers un « bonheur », mais plutôt vers le but qu'elle a choisi d'atteindre, qui est le sien propre et sur lequel le coach n'a fondamentalement pas d’opinion. Le groupe reconnaît que le coach professionnel est aussi caractérisé par le fait qu'il exerce désormais une pratique certifiée, et qu'il agit dans le cadre d'une norme et d’un contrat.
En ce qui concerne le coach agile, les participants du groupe le voient plutôt comme un consultant, un expert de « l’agilité » qui est capable de participer à la mise en place d'un cadre, de fournir et d’animer une boîte à outils, de former… Il s'agit donc d'un praticien Multi casquettes capable de parler à des publics différents et sachant adapter sa posture à l'effet qu'il cherche à atteindre pour le compte de ses clients. Dans cette optique, le coach peut aussi être assimilé à un mentor.
Pour autant, une partie de la pratique professionnelle du coach agile consiste aussi à accompagner des personnes dans le changement de leur posture vis-à-vis du travail, des relations à la hiérarchie, de l'articulation entre le collectif et le personnel… Et en ce sens il est également légitime de se demander si le coach agile ne « cache pas un coach », dans le sens de quelqu'un qui est en mesure d'accompagner la transformation des personnes qui choisissent d'entamer un chemin intérieur.
Des valeurs communes éclairent évidemment les deux pratiques : celles de l’humilité, d'une posture de servant leader, d’une capacité à l'écoute active et du respect de la confidentialité et de l'inscription dans un cadre éthique clair. Les deux types de coaching sont donc bien au « service de » avec un centrage évident sur la dimension humaine, sur la recherche de transformation en profondeur (le fameux « mindset »). Ce sont des pratiques qui admettent de nombreuses variantes dans lequel il est possible d'être créatif, car il faut s’adapter aux personnes et aux situations telles qu'elles sont. Elles requièrent toutes les deux une maturité personnelle, un centrage, pour être réellement « au service de ».
Il n'a pas été difficile pour le groupe, qui était principalement composé de coachs agiles en exercice, de faire surgir des points de convergence. Mais des points non négligeables de divergence sont aussi apparus lors de nos discussions, et ils forment, selon nous, la partie la plus intéressante pour éclairer les enjeux à venir de notre métier.
Le premier des points abordés est celui de la « posture haute/posture basse ». Il est paradoxal de voir que, si le management 3.0 ou la posture classique du coach fait la promotion de la « posture basse », celle dans laquelle celui qui est accompagné est l’expert de son métier et pour lequel le coach va jouer le rôle de révélateur ; la réalité de la pratique du coach agile est plus celle de la « posture haute », celle dans laquelle les équipes et les managers apprennent de la part du coach, qui est l’expert en agilité, les bonnes pratiques qui vont permettre de faire émerger des comportements agiles.
Ce premier point conditionne assez naturellement le second qui est celui de la manière dont le coach gère son image ; un enjeu qui est rendu d'autant plus compliqué que les mots « coach», « agile » ou encore le mot « coach agile » sont de gros « buzz words » du moment dans lequel les personnes et les organisations viennent déverser leur imaginaire et leurs projections managériales. Quelle-est, dès lors, la visibilité attendue, espérée, efficace, éthique… d'un coach agile dans une organisation ?
Le mot même de « coach » est chargé d'ambiguïté selon que l'on pose son origine d'un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Aux États-Unis, depuis des décennies, le coach est celui qui accompagne une personne dans l’objectif de l’augmentation de ses performances, comme dans le sport, en lui proposant toute une série d'entraînements et d'attitude mentale qui vont lui permettre, par exemple, de remporter une compétition. En Europe, et notamment dans la langue française, l’origine du mot coach se trouve dans « cocher », celui qui conduit un attelage et qui donc a une capacité spécifique dans ce domaine, mais n'est pas celui qui décide de la destination de l’équipage.
Le dernier point lourd de divergences qui a été soulevé concerne la dimension du périmètre d'accompagnement du coach par rapport à celui du coach agile. Aujourd’hui, de nombreuses formations au coaching professionnel prennent en compte la question de l'accompagnement des équipes, notamment au travers d'outils tels que la systémique, mais on peut les comprendre comme des excroissances de l'accompagnement individuel.
Tandis que le coaching agile est principalement conçu comme un outil d'accompagnement des équipes, particulièrement au travers des frameworks (Scrum, Kanban, at scale…). Quels sont alors les possibles recoupements issus de l’opposition entre ces deux formes de pratiques?
Au bout d'une heure et demie de partage, un des sentiments qui prévalait était celui d’une certaine frustration de ne pas avoir réussi à se mettre d’accord sur une définition commune du rapport entre coach et coach agile, et aussi celui d'une certaine méfiance par rapport aux titres et aux définitions qui pourraient enfermer nos relations et nos interventions chez les clients. Pour éclairer cette divergence, nous avons demandé aux participants qui le souhaitaient de nous donner une « phrase de synthèse » à la suite de cet entretien. En voici la liste :
Il nous semble que deux postures assez opposées ressortent de ces réflexions mises les unes à côté des autres ;
Sans prendre parti pour l'une ou l'autre des opinions, nous pouvons poser l'hypothèse que cette tension que vit le métier de coach agile est un classique des pratiques émergentes. Et cela tombe bien, car dans l’agilité, les pratiques émergentes sont au centre de nos recommandations.
Bon coaching à tous, agile ou pas !
Bon coaching agile à tous, en tant que coach, ou pas !