Et vous êtes un peu déçu. Et si, en fait, vous aviez un peu fait une demande de non-changement ?
La pandémie a mis un petit coup de frein à la « coach agile mania ». Toutefois, la demande auprès de cette catégorie de consultants ne cesse pas. Je pense que je ne manquerai pas de soutiens en pointant que le succès de l’écosystème SAFe n’y est pas étranger (en témoigne le nombre de SPC (SAFe Practitioner Consultant). Tels les champignons en automne, ils ont éclos au dernier trimestre.
Et quand bien même ces « coachs » seraient pour la plupart des consultants qui déploient des méthodes de travail participatives, la dimension magique de leur titres fait miroiter aux organisations des lendemains qui vont enfin chanter. Comme il se doit, le business-système s’adapte (avec beaucoup d’agilité...) à cette demande. Les instituts de formation forment, même en distanciel, les organismes de certifications certifient, des candidats coachs (sympathiques et convaincus) sont présentés sur la place de marché par les ESN ou en « indépendants ». Enfin, les DSI des entreprises confient aux achats le soin de sélectionner les dits coach agiles, pour les déployer auprès des équipes.
La culture du processus ayant la vie dure, un des chantier des organisations qui « passent à l’agilité » consiste à mesurer avec des indicateurs savants le taux d’agilité des équipes (TxAg ?), soit prosaïquement le pourcentage d’équipes converties à la pratique des sprints, PI, rétro planning et autres daily. Ce qui permet, en compilant des fichiers XXL d’annoncer à des comités de direction que, quelques centaines de jours/coachs/M€ plus tard, la majorité des équipes, enfin, sont « agiles ».
Transformation agile : une impression de déjà-vu ?
Cette situation me semble assez proche de celles des grandes frénésies précédentes de transformation d’organisation : CMMI, Prince 2, “Lean” Six Sigma. Elle suit à mon sens un schéma identique : pour répondre à un problème, on trouve une solution de régulation. Et celle du jour a un nom : l’agilité. Sauf que, cette fois, la solution va être efficacement déployée par des sachants auprès des équipes. Non pas grâce à du « change management » mais grâce à du « coaching ».Mais, dans le concret, qu’est ce que cela change vraiment ? Le delivery est-il plus fluide, la qualité plus stable, les clients plus vite servis ? Et les équipes, elles vous disent qu’il y a une différence ? Et vos managers ; sont-ils plus sereins et confiants ? Et, tout simplement, mesurez-vous ces changements ? Si ce n’est pas le cas, il est possible que vous ayez fait une demande de non-changement. Améliorez mes process... mais, surtout, sans les changer.
En fait, comme les autres solutions ont été impuissantes à régler les problèmes, la logique commande de dire que toujours plus des mêmes choses conduiront à toujours plus des mêmes résultats. L’agilité industrialisée vendue en paquets de douze ne sort pas d’un iota les organisations de leurs entropies.
Comme le dit si bien Watzlawick : le problème, c'est la solution.
Transformation agile : bon, tout n’est pas si sombre...
Ce tableau sombre est quand même éclairé par des tâches de lumière. Ici et là, parfois dans des endroits étonnants, des organisations profitent de cet électrochoc de l’agilité pour pivoter du contrôle des coûts à la création de valeur, de la préoccupation de soi à l’orientation vers le client. Et ce, dans une démarche qui dépasse la phrase incantatoire.
Nous autres coachs agiles pouvons y être un peu pour quelque chose, mais soyons francs. C’est dans les équipes —par le dynamisme propre qu’elles influent—, et chez le commanditaire —par la protection qu’il offre à la transformation— que se trouvent les ingrédients d’un changement en profondeur réussi.
Prétendre le contraire revient à croire que des équipes “coachées”, sans protection adéquate, pourraient s’octroyer la vraie-fausse permission de faire différemment en continuant à répondre aux mêmes obligations. Ce qui ressemble aux injonctions en doubles contraintes classiques qui parsèment la vie des organisations qui broient du manager comme du café colombien : « faites plus avec moins... mais privilégiez l’innovation » ; «suivez scrupuleusement les process et les règles... mais pensez en dehors de la boite ». Ou si vous préférez : « changez... mais surtout en faisant comme avant ».
Pour en illustrer la dynamique, je vous partage le souvenir de ce manager dans une grande organisation qui avait mis dans sa signature mail cette formule d’une transparence absolue « Priorité à la transformation ... Et juste après, la transformation »...
Changement = espace
De mes expériences en terres agiles, je dégage un début de certitude générique. En effet, le passage à l’agilité est un vrai changement qui requiert de l’espace. De l’espace-temps pour pouvoir essayer et expérimenter, de l’espace-sécurité pour chercher et se tromper, de l’espace-conceptuel pour admettre que ce qui est fait aujourd’hui doit être abandonné.
Et le seul acteur qui ait le pouvoir politique de « permettre » et de « protéger » cet espace est le dirigeant de l’organisation. Comme le dit la formule : « La conduite du changement, c’est d’abord le changement de la conduite ©[CCC]». (mais bon, si vous avez un exemple d’un écosystème dans lequel un changement radical s’est produit sans l’appui du commanditaire, je suis très intéressé par la référence !).
Et concrètement ?
Chers commanditaires et dirigeants : si vous confinez votre transformation agile à un seul échelon du système, sans y inclure le pilotage budgétaire ou la transformation managériale, sans permettre au système de se re-construire ... il n’y a pas de raison que le changement aille plus loin que ses mots-valises : squads, tribus, RTE, disruption, transformation digitale, bla-bla et cie. Oui mais comment faire, alors ? Comme il est difficile de donner des prescriptions génériques à des cas qui sont tous particuliers, je ne pourrais qu’évoquer les étapes suivantes :
Se demander « pourquoi ». Pourquoi voulons-nous changer ? Quel en est l’enjeu ? Pourquoi allons-nous “mourir” si nous ne le faisons pas ? Et pas le « sens of urgency » de Papy Kotter, hein. Une vraie raison. S’il n’y a pas de raison ? Surtout ne touchez à rien.
Pour aller ensuite au quoi. Que faisons-nous aujourd’hui qui nous mène à l’échec ? Que cela nous apporte t-il ? Qu’est ce que cela nous permet de cacher ? Quelles discussions évitons-nous grâce à cela ?
Et enfin au comment. Comment allons-nous « en-le-ver » ce qui nous gène ? Plutôt que d’ajouter de nouvelles contraintes à ces pauvres équipes qui n’en peuvent plus... pour tester de nouvelles façons de faire.
En forme de conclusion, mais qui ouvre à débat
Pour le dire (trop) pompeusement, la détection de nos drivers de non-changements est le préalable à une demande de changement débarrassée de son homéostasie. Ou bien en plus simple : il faut mettre en lumière les raisons de ne pas changer pour espérer voir s’accomplir un vrai changement.
C’est le lieu d’un accompagnement de coaching (d’organisation celui-là) de mettre en lumière cette non-demande, puis de définir les permissions et les changements d’action qui viendront —peut-être— enclencher un process de changement. Après que ce changement soit agile ou pas agile, ça dépendra de ce que vous fabriquez, de son cycle, de sa complexité.
Et si, en définitive, vous préférez le non-changement, c’est ok aussi.
Et vous, comment allez-vous demander votre futur non-changement ?
(Reprise réactualisée d’un article de Mars 2020 sous le titre « Finalement, votre transfo est au point-mort »)