Le télétravail est aujourd’hui une tendance de fond pour les entreprises : 29% des salariés et 30% des dirigeants français déclarent télétravailler occasionnellement ou régulièrement en 2018 (Malakoff Médéric Humanis, février 2019). Les enjeux couverts sont importants : facteur d’efficacité individuelle, attractivité de la marque employeur, outil de motivation et de fidélisation des talents, réduction de l’absentéisme, …
Quand on entend parler de télétravail, on imagine assez facilement les nombreux bénéfices que le salarié pourrait en tirer : profiter du confort de la maison, ne pas être obligé de s’agripper à une barre de métro, ne pas être dérangé à longueur de journée par le téléphone du voisin de bureau… en bref, avoir une journée plus sereine et plus productive ! Les chiffres issus de la dernière étude de Malakoff Médéric Humanis l’illustrent d’ailleurs parfaitement : 77% des salariés télétravailleurs se déclarent satisfaits ou très satisfaits, et près de 9 sur 10 s’estiment plus efficaces en télétravail, point sur lequel ils sont rejoints par leurs managers.
Le télétravail peut-il convenir à n’importe qui ? Quels en sont les impacts sur la cohésion d’équipe ? Sur l’émulation d’idées en entreprise ? Sur le bien-être des télétravailleurs ? Quelles sont les difficultés de pilotage rencontrées par les managers ?
Non, le télétravail n’est pas donné à tout le monde : certains métiers (commerciaux itinérants, équipes de support informatique, responsables environnement de travail…) ne sont tout simplement pas télétravaillables, ce qui peut avoir tendance à creuser le fameux écart existant bien souvent entre des fonctions dites « support », basées au siège de l’entreprise, et les métiers « opérationnels » sur le terrain. Néanmoins, pour ces profils dits « non télétravaillables », une analyse plus fine des tâches à réaliser au quotidien peut mettre en évidence le fait que certaines activités administratives ou de suivi sont tout à fait réalisables depuis le domicile à raison d’une journée ou demi-journée par semaine (couplée à un temps partiel ou déplacement, par exemple).
Mais la question de la télétravaillabilité du profil n’est pas la seule cause de frustration : le critère de l’autonomie devient clé dès lors que l’on aborde la question du télétravail.
Prenons quelques instants pour dresser le portrait du salarié autonome : non seulement est-il capable d’organiser et de prioriser seul ses activités, de réaliser ses tâches sans soutien quotidien de son manager ou de ses collègues, mais il maîtrise également parfaitement ses outils de travail et de communication à distance, est en mesure de prendre des initiatives lorsqu’il rencontre un problème et procède à du reporting spontané pour donner de la visibilité sur son travail.
Or, le fait est que les managers sont tentés d’accorder le télétravail à tout un chacun, plutôt que de chercher à évaluer si le niveau d’autonomie des candidats est suffisant pour travailler sereinement et efficacement à distance. Ce qui peut avoir un effet boomerang ! Le manager réalise par la suite qu’il n’aurait jamais dû laisser un collaborateur télétravailler : autonomie insuffisante, abus constatés, manque d’exemplarité vis-à-vis du reste de l’équipe… et un retour en arrière (souvent très mal vécu par la personne concernée) doit alors être envisagé. Dans d’autres cas, le collaborateur ayant lui-même surévalué sa capacité à travailler de manière autonome sans soutien de son manager et de son équipe se retrouve en difficulté et isolé chez lui. Une situation qui peut être évitée si l’on sait dire « non » en temps voulu.
Aujourd’hui, le télétravail peut souvent être perçu comme un droit ou un acquis social. Il est d’ailleurs courant, dans le cas d’un déménagement du siège d’une entreprise, de voir la direction proposer à ses collaborateurs de télétravailler pour « compenser » l’allongement du temps de transport. Le télétravail devient alors un outil de rétention des salariés, et le critère pourtant clé de l’autonomie disparaît.
Un autre risque pris avec le télétravail est de perdre le lien avec le collectif. Pratiqué à « haute dose » (c.à.d. 2 jours par semaine ou plus), le télétravail peut générer un effet « bureaux vides » et déliter l’esprit d’équipe et le sentiment d’appartenance à une même entreprise. Le télétravail peut ainsi altérer la capacité de collaboration mais aussi d’innovation des équipes : plus personne ne se croise, on n’échange plus d’idées, beaucoup moins de valeur est créée pour l’entreprise… Dans ce type de situation, les outils de collaboration et de communication à distance, utilisés à bon escient, peuvent jouer un rôle important pour recréer du lien.
Contrairement aux idées reçues (télétravail = journée tranquille), le télétravailleur peut devenir un véritable « addict » du travail : oubli de la pause déjeuner, reprise du travail après le dîner, incapacité à se déconnecter même mentalement du travail en soirée… Il est pourtant essentiel de s’imposer des temps de pause dans sa journée et d’instaurer une séparation nette entre sa vie personnelle et professionnelle.
Le manager peut quant à lui avoir du mal à se prêter au jeu, complexe, du pilotage à distance : il est nécessaire de trouver un juste équilibre entre flexibilité et fermeté, et d’apprendre à accompagner à distance tant les collaborateurs qui ne donnent aucune visibilité sur leur travail, que ceux qui surcommuniquent.
Lorsque les managers n’ont pas été embarqués en amont sur le sujet, les conditions clés de succès du télétravail, à savoir confiance et lâcher-prise, se heurtent à des décisions arbitraires souvent incomprises : pas de télétravail le lundi, mercredi ou vendredi ; 1 jour de télétravail toutes les 2 semaines maximum, demande de reporting à l’issue de chaque journée de télétravail, etc.
Une chose est sûre, le télétravail contribue largement à la transformation de nos modes d’organisation et de management, en parallèle d’autres tendances de fond : passage en espaces ouverts et partagés (Flex Office), développement des tiers-lieux de travail et espaces de coworking, intérêt croissant des entreprises envers le bien-être de leurs salariés…
Mais pour que le déploiement du télétravail soit un succès, il est indispensable de sécuriser certains points :
Dans tous les cas, tous ces changements dans l’organisation du travail, des espaces qui l’entourent et de la mobilité, vont dans le sens d’une liberté accordée plus importante et la mise en place d’une fluidité dans les rapports humains. Tout cela devra œuvrer pour la libéralisation de l’intelligence collective.