C’est bien la passion du métier et l’envie de redonner goût à la vie des personnes en difficulté qui meuvent les infirmières. Et ça Jos de Blok, le fondateur de Buurtzorg (qui signifie « soins de proximité » en néerlandais) l’a bien compris. Dès 2008, il disrupte totalement le système médical des Pays-Bas en fondant avec une équipe de 12 infirmières autogérées ce qui compte aujourd’hui pour 80% de la masse salariale du marché des soins à domicile aux Pays-Bas (soit environ 15 000 personnes) et inspire de nombreuses organisations dans plus de 24 pays, dont la France…
La philosophie de Buurtzorg est fondée sur la simplification : simplifier les procédures, les règles et la communication, afin de se focaliser sur le cœur de métier, à savoir les soins aux clients, et arrêter de perdre du temps sur des tâches parasites.
Les quelques 1000 équipes d’infirmières de Buurtzorg sont totalement autogérées et s’occupent donc de l’intégralité du processus des soins médicaux : elles gèrent, entre autres, la recherche de nouveaux clients, la planification de leurs emplois du temps, les soins aux personnes, et embauchent même leurs propres collaborateurs. 50 personnes travaillent depuis le siège social à accompagner les infirmières dans leur autogestion et dans les démarches administratives.
21 coachs régionaux sont également là pour guider les équipes dans le développement du self-management et les aider à résoudre les problèmes internes et les conflits qui nécessiteraient l’intervention d’un tiers. Ils agissent en réalité comme lien transverse entre les équipes (une sorte de mémoire pour les accompagner et les inspirer par les solutions des équipes ayant rencontré un problème similaire) et comme miroir (poser les questions pertinentes pour renvoyer l’équipe à ses choix et son fonctionnement). Chaque coach suit entre 45 et 50 équipes, ce qui obligent les deux parties à se concentrer sur les questions essentielles, et à garder une forte autonomie. De nouvelles équipes se forment chaque semaine et chacune d’elles peut candidater pour se voir attribuer un voisinage, soit un périmètre d’intervention, dans lequel elle exercera. Madelon, une infirmière que nous avons interviewée, le dit elle-même : « Une fois qu’une équipe est formée, elle trouve sa voie par elle-même ». Chez Buurtzorg, on veut que chaque équipe soit unique et qu’elle vole de ses propres ailes.
Très simplement finalement : les équipes travaillent par zone et sont responsables de la clientèle présente sur cette zone. Côté soins, les infirmières se répartissent ensemble les clients de la journée. Mais leurs rôles et leurs tâches vont au-delà de leur cœur de métier. Buurtzorg a prédéfini les différents rôles nécessaires au bon fonctionnement et au bien-être d’une équipe, que les infirmières se répartissent d’un commun accord, et qui tournent d’ailleurs au fil de la vie de l’équipe et des appétences des infirmières (en général les équipes effectuent la rotation des rôles deux fois par an). Il existe 7 rôles prédéfinis qui sont explicités et développés dans le manuel que toutes les infirmières Buurtzorg reçoivent, Self-management, how it does work de Astrid Vermeer et Ben Wenting :
Dans la règle, une équipe se compose d’un maximum de 12 personnes ; en réalité, les membres des équipes, forts de leurs compétences et affinités, savent quand l’équipe doit se scinder ou non. Madelon nous explique que certaines sont beaucoup plus productives à 6 qu’à 12. La structure des équipes est assez figée car elle permet de donner un cadre aux infirmières. Les équipes se rencontrent toutes les deux semaines notamment pour échanger sur la situation globale, évoquer des cas particuliers et résoudre les éventuels problèmes rencontrés.
Pour que les équipes soient soudées, le recrutement dans une organisation aussi décentralisée est primordial, et il est d’ailleurs entièrement à la main des équipes d’infirmières. Le recrutement se fait souvent sur la base d’échanges informels entre l’équipe Buurtzorg avec un poste à pourvoir et des infirmières externes. Après échange classique de lettre de motivation et d’un CV pour vérifier les qualifications, deux infirmières se portent volontaires pour faire passer l’entretien, qui n’a pas de structure prédéfinie. Les deux infirmières rapportent ensuite l’entretien aux autres membres de l’équipe, et elles décident ensemble de l’intégration de la personne dans l’équipe. Deux mois sont ensuite alloués pour tout désengagement de la part de la nouvelle recrue.
Là où le modèle est vraiment fort, c’est dans la mise en réseau de ces équipes et la diffusion d’un sentiment d’appartenance fort à une mission commune. En effet, le réseau de 1000 équipes de Buurtzorg est bien plus qu’une somme des équipes : elles sont toutes reliées grâce au travail des coachs régionaux, mais aussi grâce à leur réseau interne, le Buurtzorg Web. La communication entre les infirmières permise par ce réseau est la clé de leur transversalité : elle leur permet de partager leurs expériences, développer de nouvelles compétences ou encore communiquer et créer de nouvelles communautés.
Cette gigantesque infrastructure informatique collaborative promeut l’échange de connaissance, le focus client, et l’alignement des valeurs. Cette plateforme a plusieurs objectifs :
Le Buurtzorg Web a été rapidement adopté par les équipes d’infirmières comme un outil de communication mais également de gestion. Ce réseau intègre également une messagerie intraéquipe très utilisée par les infirmières et infirmiers. Pas étonnant donc qu’il ait été si rapidement pris en main par les équipes qui ont façonné, au fur et à mesure de sa construction, le Buurtzorg Web.
Buurtzorg est une réussite spectaculaire, l’un des plus beaux exemples d’entreprise sans managers à grande échelle !
Aujourd’hui ce n’est pas moins des deux-tiers des infirmiers et infirmières du pays qui travaillent chez Buurtzorg. Les résultats financiers et médicaux de l’organisation font exploser tous les indicateurs avec une réduction de 30% des admission aux urgences, et une réduction de 40% en moyenne du temps consacré aux soins pour chaque patient par rapport aux autres organismes de soins à domicile pour une prescription. Pourtant, les infirmières prennent le temps de prendre le café et de parler avec leurs patients, leur famille, leurs voisins pour resserrer le soutien qui les entoure pour améliorer leur rétablissement. Les patients guérissent plus vite et sont autonomes plus rapidement.
Et ce temps passé à réellement soigner leurs patients, en opposition avec vendre des produits ou faire du reporting, a un impact assez parlant chez les infirmières : 60% d’arrêts de travail et 30% de turnover de moins que dans les entreprises de soins de proximité classiques (chiffres rapportés par Frédéric Laloux en 2015).