Cet article est le second article de la série “Maitrisez l'Agilité en distanciel”. Il est dans la suite logique et fait plusieurs fois référence au premier article “Distanciel : Les bonnes pratiques en réunion”. En effet, les considérations générales que nous avons évoqué dans le premier article s’appliquent indifféremment à tous types d’échanges en distanciel, et donc également aux rituels Agiles classiques - en fait pour l’essentiel issus de Scrum [5]. Intéressons nous ici aux spécificités de ces rituels.
Daily Scrum, daily meeting, standup meeting
Screenshot d’un daily scrum meeting en distanciel, avec partage d’un kanban virtuel JIRA
Sans surprise, un kanban virtuel est obligatoire. Il remplacera les traditionnels post-its collés sur un mur sur lequel on aura dessiné quelques colonnes représentant le workflow. JIRA est certainement le plus connu d’entre eux [6]. Assurez-vous que l’un des participants partage son écran, avec le kanban visible, et pointe les éléments dont il est question pendant les échanges ; il s’agit de reproduire ici virtuellement une équipe réunie en demi cercle devant un kanban physique dessiné au mur, et concentrée sur les tâches y figurant, et leur avancement. Prenez garde que ce ne soit pas toujours le Scrum Master ou le Product Owner qui partage son écran. La pratique du “Pass the ball” (voir plus haut) s’applique très bien à un daily meeting : c’est simple et efficace, et souvent l’enchainement des échanges est plus pertinent que si la parole avait été distribuée par une personne moins directement concernée par les interactions et les dépendances interpersonnelles du quotidien (Scrum master ou le Product Owner par exemple).
💡Pour ma part, lorsque je l’estime utile, ou en l’absence d’alternatives, je n’hésite pas à transiger et à profiter de l’occasion du Daily Scrum pour discuter de sujets plus informels, pour remplacer les échanges spontanés qui en présentiel auraient lieu sinon dans un couloir ou devant la machine à café.
Ce rituel est à mon avis trop long en format standard pour être tenu à distance : réduisez-le et fragmentez-le. Comment ? Focalisez-vous sur l’essentiel : le partage et la validation collective de l’objectif et du backlog du sprint à venir. Cela impose au Product Owner, éventuellement avec l’aide du Scrum Master, une préparation non négligeable en amont. Les sessions de refinement, comprises comme partie prenante des Sprint Plannings, sont à ce titre à peu près indispensables, en ce sens qu’elles permettent une fragmentation de l’exercice.
Exemple simple d’un format collaboratif de Sprint Planning dans Miro : le Product Owner dispose les Stories candidates au prochain sprint sur la partie gauche, ordonnées par priorité ; l’équipe déplace vers la droite celles qu’elles estiment pouvoir réaliser au regard de l’estimation de l’effort nécessaire.
Les refinements justement… Ne nous mentons pas, ils sont souvent fastidieux, même en présentiel - mais ils sont indispensables lorsque le projet est complexe ou que l’équipe comporte de nombreux membres. La bonne compréhension par l’équipe des sujets qui lui sont soumis est l’une des clés de la réussite. Ici encore plus qu’ailleurs, la préparation est nécessaire, et l’appui sur des supports visuels indispensable : maquettes, algorithmes, schémas d’architecture, extraits de code, … Venir les mains dans les poches ou imaginer construire la solution en partant d’une feuille blanche sera bien plus compliqué en distanciel, et finira donc le plus souvent en échec. Lorsque plusieurs sujets sont présentés, timeboxez et n’oubliez pas de préparer un agenda afin d’indiquer aux membres quelles parties leur demanderont une attention ou une préparation particulière*.*
Sprint Review et démonstration
Revue du sprint précédent, partage des métriques : préparez en amont - ou automatisez ! - et soyez visuel. En face des utilisateurs et des parties prenantes, il ne sera cette fois pas possible de distribuer des Chocobons pour les amadouer ! Les principes de bon sens vu plus haut restent applicables, ajoutez leur un narratif : votre démo doit avoir un début, un milieu et une fin. Cela captera l’attention des spectateurs, cette attention qui est un prérequis indispensable à un feedback de qualité, ce qui est notre objectif nominal lors de ce rituel. Racontez leur une histoire - et même mieux racontez leur propre histoire. En tous cas : ne vous contentez pas de dérouler mécaniquement une liste désordonnée de fonctionnalités.
Ceci étant dit, la difficulté principale reste le recueil du feedback. Il est essentiel pour construire le meilleur produit possible. Il engage et valorise les équipes. Or près d'un manager français sur deux (49 %) déclare avoir l'impression que les membres de son équipe travaillant à distance ne bénéficient pas de retour spontané sur leur travail [4]. Ici Scrum Master et Product Owner sont essentiels pour ménager régulièrement des plages de questions/réponses, car on peut moins encore qu’en présentiel compter sur des interruptions.
- Repérez en amont les utilisateurs les plus susceptibles d’être intéressés par la fonctionnalité montrée et interrogez-les nominativement.
- Proposez-leur d’utiliser la fonctionnalité du doigt levé.
- Envisagez de leur donner la possibilité de livrer leurs questions ou remarques en asynchrone dans la conversation associée à la réunion, ou dans un outil de travail collaboratif tel que Miro.
- Mettez en place des sondages (”Que pensez-vous de cette fonctionnalité ? (1) Aucun intérêt (2) Mouais pourquoi pas (3) Génial !”) .
- Expérimentez ! Et variez d’une réunion à l’autre.
Rétrospective
C’est le rituel qui me pose le plus de difficultés. Plus encore que les autres, il tire son intérêt d’échanges directs et contradictoires – donc dynamiques. De plus les émotions ou ressentis sont parties intégrantes de ce rituel. Ne pouvoir s’appuyer que sur les mots et la voix est très réducteur - et plus encore quand on ne maitrise pas parfaitement la langue. En appliquant les recettes habituelles du présentiel, on constate rapidement que c’est lent, lourd et pénible pour l’équipe, qui en vient très vite à en perdre le sens. Ici aussi, il apparaît souhaitable d’anticiper en demandant aux membres de l’équipe de réfléchir tout au long du sprint à ce qu’ils voudront relever lors de la rétro qui le clôturera. Mieux : demandez-leur de faire figurer ces réflexions dans un document partagé ou un board interactif (Miro ou Klaxoon). Cela laissera l’opportunité aux autres membres d’en prendre connaissance en amont - mais attention : prenez garde de réserver les discussions interpersonnelles au jour de la rétrospective, lorsque tout le monde est présent, et que le Scrum Master puisse jouer son rôle de modérateur. Cela permet de réduire le timing de la rétrospective en la concentrant, non tant sur la mécanique, mais sur ce qui fait son intérêt premier : les échanges contradictoires, et les décisions et actions éventuelles qui en découlent.
Les rituels spécifiques à l’Agilité à l’échelle
Je pense par exemple au plus connu d’entre eux : la grand-messe du PI Planning dans SAFe [1]. Il impose par définition de réunir plusieurs dizaines de personnes (jusqu’à 150 !) au même endroit pendant 2 jours pleins. Par expérience, il apparaît que dès lors que tout ou partie des participants est à distance, il est nécessaire de l’adapter [2].
- Bien sûr, appliquez sans faillir les principes vus plus haut (supports visuels, organisation dynamique de la parole, agendas…etc.).
- Réduisez les sessions en anticipant les réflexions qui peuvent se mener en plus petit comités ad hoc, réservez la résolution des dépendances, les arbitrages et les décisions au jour j.
- Fragmentez en étalant votre PI Planning sur plusieurs jours (ce qui s’avère d’ailleurs nécessaire lorsque vos équipes se répartissent sur de nombreux fuseaux horaires [3]).
- Appuyez-vous sur un outil de travail collaboratif (Klaxoon, Miro…) pour faire travailler et interagir les participants dans un espace commun et centralisé : Team Breakout boards, Solution board, ROAMing etc.
Extrait d’un board Miro dédié à un PI Planning
Conclusion
Merci de votre attention ! Prochain article de cette série "Maitrisez l'Agilité en distanciel” : nous explorerons comment le distanciel peut, contrairement aux idées reçues, booster nos pratiques Agiles. A bientôt !
Références
[1] Pour en savoir plus sur le PI Planning dans SAFe : https://scaledagileframework.com/pi-planning/.
[2] D’ailleurs depuis la version 6, SAFe a intégré les contraintes d’équipes multi-localisées, et propose des alternatives : https://scaledagileframework.com/distributed-pi-planning/.
[3] Voir à ce sujet un article que j’avais précédemment écrit sur les spécificités d’équipes dont les membres sont répartis entre Amériques, Europe et Asie : https://www.aneo.eu/blog/adapter-agilite-pour-equipe-internationale.
[4] OWL Labs publient chaque année un état des lieux du travail hybride à travers le monde : https://resources.owllabs.com/state-of-remote-work.
[5] Pour plus de détails sur les rituels Scrum, se référer au Scrum Guide, téléchargeable ou consultable ici : https://scrumguides.org/index.html.
[6] Site officiel de JIRA, édité par la société Australienne Atlassian : https://www.atlassian.com/fr/software/jira.