L'intelligence collective ou l'intelligence artificielle

Écrit par Philippe Cieutat, le 24 octobre 2024

Dans le monde des affaires d'aujourd'hui, la capacité à innover et à s'adapter rapidement est devenue un impératif pour rester compétitif. Les défis auxquels les organisations font face sont de plus en plus complexes, nécessitant des approches nouvelles et créatives. C'est dans ce contexte que l'intelligence collective émerge comme un levier puissant pour transformer les entreprises de l'intérieur. L'intelligence collective repose sur un principe simple : en rassemblant les connaissances, les perspectives et les compétences diverses de chacun, un groupe peut résoudre des problèmes et générer des idées bien plus riches que ce qu'un individu seul pourrait accomplir. C'est la synergie des intelligences multiples qui permet de transcender les limites individuelles et d'atteindre un niveau supérieur de créativité et d'innovation. Cependant, pour libérer pleinement ce potentiel, les organisations doivent se réinventer en profondeur. Elles doivent abandonner les structures hiérarchiques rigides et les silos cloisonnés pour embrasser des modèles plus horizontaux, collaboratifs et décentralisés. Cette transformation culturelle et organisationnelle n'est pas sans défis, mais elle est essentielle pour tirer parti de l'intelligence collective et rester à l'avant-garde dans un environnement en constante mutation.

Mais qu'est-ce que l'intelligence collective et comment la faire émerger ?

Imaginez un orchestre où chaque musicien apporte sa partition unique. Seuls, leurs talents sont impressionnants, mais c'est leur jeu d'ensemble qui crée cette symphonie envoûtante. ​Voilà l'essence même de l'intelligence collective : rassembler des esprits différents et les faire collaborer pour transcender les limites individuelles et atteindre un niveau supérieur de créativité et d'innovation.

​C'est la magie de la synergie, où le 1 + 1 devient bien plus que 2. Lorsque des perspectives, expériences et compétences variées se réunissent, une étincelle jaillit, illuminant des solutions insoupçonnées aux problèmes les plus ardus.

Cependant, si la mise en œuvre d'ateliers d'intelligence collective peut sembler aisée de prime abord, en tirer pleinement les bénéfices requiert des compétences et expériences spécifiques. En effet, l'intelligence collective repose sur la capacité à fédérer des individualités aux profils variés. L'animateur doit pouvoir canaliser les énergies, valoriser les complémentarités plutôt que d'alimenter les oppositions stériles afin de faire converger vers des solutions innovantes.

Et pour libérer tout ce potentiel, quelques principes clés devrons être réunis :

  • La diversité, en prenant soin de rassembler des perspectives, expériences et compétences variées afin d'aborder les défis sous tous les angles.
  • Veiller à la décentralisation de façon à distribuer la prise de décision plutôt qu'une structure hiérarchique rigide.
  • Le partage dans la bienveillance pour échanger librement idées et connaissances afin de nourrir la créativité collective.
  • Et de la collaboration de manière à se compléter mutuellement vers un objectif commun.

Pour cela, vous devrez gérer et mettre en pratique :

  • La coordination harmonieuse des différentes contributions individuelles.
  • Faire en sorte d'éviter les pensées de groupe afin de préserver la richesse des voix dissidentes.
  • Savoir gérer les conflits d'idées et d'opinions de manière constructive.
  • Et faire émerger l'essentiel dans les flux massifs d'informations.

Ainsi, ​l'intelligence collective devrait pouvoir vous permettre de résoudre les défis les plus complexes grâce à la combinaison d'expertises complémentaires, tout en stimulant une créativité débridée par la diversité des perspectives. Vous pourrez ainsi prendre des décisions éclairées en intégrant tous les angles, booster l'engagement de chacun et vous adapter plus rapidement aux changements.

Quelques exemples d'ateliers basés sur l'intelligence collective

Alors, histoire de vous donner quelques idées qui pourraient vous aider à utiliser l'intelligence collective, je vous propose quelques ateliers.

Cependant, faire jaillir cette étincelle de synergie n'est pas chose aisée. Il va falloir savoir choisir les bonnes approches, en fonction des objectifs visés et des dynamiques en jeu. Alors avant de vous lancer, gardez à l'esprit que chaque atelier a ses forces et ses faiblesses. Leur succès dépendra de votre capacité à bien cerner les enjeux, à créer un environnement propice et à faciliter les échanges avec doigté.

Prêts à libérer le potentiel de vos équipes ?

Découvrons ensemble quelques ateliers inspirants, tout en restant vigilants aux écueils potentiels. Car c'est en maîtrisant ces outils que vous pourrez véritablement composer la symphonie de l'intelligence collective.

​World Café

​Le World Café est un format d'atelier participatif et convivial dont l'​objectif est de faire circuler les idées, de croiser les perspectives et d'enrichir collectivement la réflexion sur le sujet traité. La convivialité du cadre favorise les échanges spontanés et créatifs.

Cet atelier se déroule de la manière suivante :

  • Les participants sont répartis en petits groupes autour de tables réparties et décorées un peu comme dans un café.
  • Une question ou un défi est posé(e) au groupe.
  • Pendant 20-30 minutes, les participants discutent librement autour de la table en notant leurs idées sur des nappes en papier (ou post-it).
  • A l'issue de ce temps d'échange, une personne reste à chaque table en tant qu'"hôte" pendant que les autres changent de table.
  • Les nouveaux arrivants sont mis au courant des discussions précédentes par l'hôte, puis relancent la réflexion.
  • Le processus se répète ainsi pendant 3 ou 4 rotations.

Mais pour en obtenir tout le potentiel il faudra veiller à :

  • Bien définir la question de départ pour cadrer sans trop restreindre les échanges.
  • Veiller à la composition équilibrée des groupes (diversité des profils).
  • Veillez à une rotation régulière des participants pour éviter les discussions en vase clos.
  • Désigner et briefer correctement les hôtes de table.
  • Aménager un espace propice aux discussions en petits groupes.
  • Prévoir un temps de synthèse et de priorisation en fin d'atelier.
  • Assurez-vous que tous les participants aient l'opportunité de s'exprimer.
  • Et un facilitateur expérimenté est essentiel pour synthétiser et faire émerger les idées clés.

​Bien animé, le World Café permet de générer quantité d'idées nouvelles en peu de temps grâce à l'intelligence collective mise en œuvre. C'est un excellent format pour aborder des sujets complexes de manière créative et collaborative.

Les Chapeaux de Bono

La méthode des 6 chapeaux, développée par Edward de Bono [1]​, est un excellent outil pour structurer la réflexion collective et aborder un sujet sous différents angles complémentaires. Elle est tout particulièrement intéressante lorsqu’une équipe est confrontée à un défi ou un problème ardu impliquant de multiples aspects (techniques, humains, financiers, etc.), car ​elle évite de rester bloqué dans un seul mode de pensée.

Chaque couleur de chapeau représente un mode de pensée différent :

  • Le Chapeau Blanc : Il symbolise les faits, les données et les informations objectives sur le sujet. C'est la vision neutre et rationnelle.
  • Le Chapeau Rouge : Il représente les intuitions, les émotions et les réactions spontanées sans avoir à les justifier.
  • Le Chapeau Noir : Il incarne l'esprit critique et met en lumière les risques, les faiblesses et les aspects négatifs.
  • Le Chapeau Jaune : Il se concentre sur les avantages, les opportunités et les aspects positifs de la situation.
  • Le Chapeau Vert : Il encourage la créativité, les idées nouvelles et les perspectives originales.
  • Le Chapeau Bleu : Il dirige le processus de réflexion, définit les objectifs et assure la coordination des autres chapeaux.

En portant successivement ces différents "chapeaux", les participants adoptent des angles de vue complémentaires. Cela permet d'explorer un sujet en profondeur, d'éviter les conflits contre-productifs et de parvenir à des décisions éclairées. Les chapeaux de Bono sont un excellent outil d'intelligence collective pour structurer la pensée divergente et convergente au sein d'un groupe.

Le jeu du TAO

Levier de transformation pour de nombreuses organisations souhaitant développer leur agilité et leur capacité d'innovation.

Le jeu du Tao, développé par Pascal Le Masson [2] et Benoit Weil [3] (tous deux ​professeurs à l'École des Mines de Paris), ​s'inspire des principes taoïstes et de leurs recherches sur les processus d'innovation collective. ​

Leur objectif, créer un outil ludique et immersif pour transmettre les comportements clés de l'intelligence collective : l'ouverture d'esprit, la remise en cause constructive et la co-création.

​Le déroulement

Le groupe est divisé en deux équipes qui s'affrontent dans un jeu de plateau. Chaque équipe doit concevoir un objet en réponse à un défi de conception posé. Mais à chaque tour, les équipes échangent leurs propositions et doivent rebondir sur les idées adverses.

Les règles

Aucune critique n'est permise, seules les propositions constructives sont acceptées. Les équipes doivent explorer de nouvelles pistes en partant des concepts précédents, dans un esprit d'ouverture et de co-construction.

Les bénéfices attendus

  • Stimuler la créativité collective en brisant les schémas mentaux établis
  • Apprendre à rebondir sur les idées des autres de manière productive
  • Développer l'agilité intellectuelle et la capacité d'improvisation
  • Expérimenter la synergie des intelligences en action
  • Cultiver l'écoute active et le respect mutuel

Au-delà du simple jeu, le Tao permet d'intégrer des comportements essentiels à l'intelligence collective : la remise en cause bienveillante, l'ouverture aux perspectives divergentes et la co-construction créative. C'est un excellent outil ludique pour préparer les esprits à collaborer de manière innovante et agile au sein des organisations.

Ce travail sur l'intelligence collective n'est-il pas plutôt un phénomène de mode ?

Non, nous ne pensons pas que l'intelligence collective soit un simple phénomène de mode passager. Certes, le concept connaît un regain d'intérêt ces dernières années, mais il s'appuie sur des fondements solides qui devraient lui assurer une pérennité dans le temps :

​Un concept ancré dans l'Histoire

L'idée d'une intelligence émergeant de la collaboration n'est pas nouvelle. On en trouve les prémices dès l'Antiquité avec les philosophes grecs, puis à la Renaissance avec les cercles humanistes. Plus récemment, des penseurs comme Lévy [4], Surowiecki [5] ou Malone [6] ont théorisé et promu ce concept.

Une nécessité face à la complexité

Dans un monde aux défis toujours plus complexes (environnement, santé, économie, etc.), l'intelligence collective apparaît comme une approche incontournable. En fédérant les expertises et les points de vue divers, elle permet d'appréhender ces problèmes systémiques de manière holistique.

Un levier de performance et d'innovation

De nombreuses études ont démontré les bénéfices concrets de l'intelligence collective en termes de créativité, d'engagement, de résolution de problèmes, d'innovation, etc.

  • Une méta-analyse de 192 études (2015) a conclu que les équipes à forte intelligence collective étaient 25 % plus performantes que les autres.
  • Selon Deloitte (2019), les entreprises les plus "intelligentes collectivement" dépassent de 5 à 15 % leurs concurrents en termes de performance financière.
  • Et il y en a d'autres... Le MIT en 2010 et 2018 sur la créativité, l'innovation et la résolution de problèmes complexes
  • Ou même une recherche de Gallup (2016) qui a établi un lien direct entre le niveau d'intelligence collective d'une équipe et l'engagement de ses membres.

Une aspiration sociétale montante

Les nouvelles générations, naturellement connectées et collaboratives, aspirent à des modes de travail plus horizontaux et participatifs. Cette soif d'intelligence collective répond à une véritable attente sociétale.

Une synergie avec les technologies émergentes

Enfin, l'intelligence collective trouve un formidable accélérateur dans les technologies numériques collaboratives et l'intelligence artificielle, qui permettent de démultiplier ses capacités. Loin d'être une simple mode, l'intelligence collective s'inscrit donc dans une dynamique profonde, portée par des enjeux sociétaux, économiques et technologiques de fond. Son plein potentiel reste encore à explorer et à exploiter durablement.

Avec l’intelligence artificielle, les ateliers d'intelligence deviennent-ils obsolètes ?

Alors même si l'intelligence artificielle peut aider à préparer les ateliers en analysant d'immenses quantités de données pour contextualiser les sujets, identifier les enjeux clés, et détecter les angles morts. Même si elle pourrait assister les animateurs en synthétisant en temps réel les échanges, en relançant les discussions, en détectant les biais cognitifs ou en suggérant des pistes créatives issues du croisement des contributions ; l'intelligence artificielle ne peut, à ce jour, remplacer la créativité et l'innovation apportées par l'intelligence collective humaine.

La véritable puissance des ateliers d'intelligence collective réside dans les qualités intrinsèquement humaines qui les animent : l'engagement passionné des participants, leur ouverture d'esprit pour accueillir de nouvelles perspectives, la diversité de leurs expériences et de leurs points de vue, mais aussi la spontanéité et l'authenticité des interactions. Au-delà de la simple rationalité, c'est l'émotionnel et l'intuition, ces dimensions profondes de l'intelligence humaine, qui insufflent une créativité et une perspicacité uniques que l'intelligence artificielle peine encore à égaler. L'intuition, par exemple, demeure un mystère pour l'intelligence artificielle actuelle malgré sa puissance inégalée pour guider la réflexion humaine.

Car pour l'heure, aussi avancée soit-elle, l'intelligence artificielle reste dépendante des données massives qui nourrissent ses algorithmes, données elles-mêmes issues de la créativité, de l'intuition et du génie innovant de l'esprit humain. C'est cette intelligence humaine, dans toute sa richesse et sa complexité, qui alimente en retour l'intelligence artificielle et lui permet de progresser.

Loin de les opposer, la véritable force d’ailleurs, ne résiderait-elle pas dans la synergie de l'intelligence artificielle et l'intelligence collective humaine. L'intelligence artificielle déploie sa puissance d’analyse pour exploiter au mieux les immenses gisements de données disponibles, révélant ainsi des insights précieux. Mais c'est l'intelligence collective, riche de sa diversité de perspectives, qui insuffle la créativité, l'intuition et la dimension humaine indispensables à une innovation féconde. D'ailleurs, tout comme la complémentarité des compétences au sein des groupes humains est source de richesse, les progrès de l'intelligence artificielle semblent aujourd'hui intimement liés à la capacité de combiner différents types d'intelligence artificielle aux forces distinctes. C'est en faisant interagir des systèmes spécialisés, tels que le traitement du langage naturel, l'apprentissage profond ou la vision par ordinateur, que l'on parvient à développer des intelligences artificielles hybrides bien plus robustes et performantes que si chaque technologie opérait de manière cloisonnée. Soit une intelligence collective d’intelligence artificielle.

C'est pourquoi il apparaît aujourd'hui essentiel, pour une société soucieuse d'un développement pérenne, d'investir massivement dans le levier de l'intelligence humaine collective. Car si l'intelligence artificielle recèle d'immenses opportunités stratégiques, ce sont les bénéfices issus du développement de l'intelligence collective qui s'avéreront, à court et moyen termes, les plus substantiels pour les organisations. En effet, c'est en conjuguant au mieux les forces complémentaires de l'intelligence artificielle et de l'intelligence humaine que l'on pourra relever les défis les plus complexes. L'intelligence artificielle apportera sa puissance computationnelle et analytique, tandis que l'intelligence collective insufflera la créativité, l'intuition et la dimension humaine indispensables à une innovation durable et éthique. Investir dès à présent dans cette synergie vertueuse constitue donc l'opportunité de retours sur investissement la plus prometteuse pour préparer l'avenir.

Références

[1] Edward de Bono : Psychologue, médecin et auteur maltais né en 1933. Il est considéré comme l'un des pionniers de la pensée latérale et de la créativité appliquée

[2] Pascal Le Masson : Auteur de nombreux ouvrages de référence comme "Les processus d'innovation" et "La stratégie inépuisable".

[3] Benoit Weil : entrepreneur et essayiste français, spécialiste reconnu de l'intelligence collective et des nouvelles formes d'organisation du travail.

[4] Pierre Levy : Philosophe et pionnier de l'intelligence collective, a posé les bases de ce concept dès les années 90 avec ses ouvrages comme "L'Intelligence collective" (1994). Il y décrit une intelligence distribuée partout, valorisée, coordonnée en temps réel et mobilisée sur des objectifs communs. Lévy a notamment théorisé le concept de "noosphère", cette sphère de pensée collective rendue possible par les réseaux numériques et le partage des connaissances. Ses travaux visionnaires ont largement inspiré la réflexion sur l'intelligence collective à l'ère du numérique.

[5] James Surowiecki : Journaliste américain, James Surowiecki a popularisé la notion "de sagesse des foules" avec son livre éponyme en 2004. Il y démontre, exemples à l'appui, que des groupes peuvent parfois se révéler plus intelligents que les experts en combinant leurs informations et intuitions diverses.

[6] Thomas W. Malone : Professeur au MIT, Thomas W. Malone est un expert reconnu des nouvelles formes d'organisation du travail à l'ère numérique. Dans des livres comme "The Future of Work" (2004), il explore les modalités de l'intelligence collective permise par les technologies collaboratives. Malone a notamment théorisé les concepts de "crowdsourcing" (externalisation vers la foule) et de "co-création" ouverte. Il étudie les mécanismes permettant de canaliser au mieux les contributions d'un grand nombre pour résoudre des problèmes complexes.