Ada Lovelace, la pionnière ayant créé la machine analytique… Grace Hopper, « the Queen of software » témoin du premier « bug » informatique… Margaret Hamilton, la Femme dont le code informatique a envoyé l’Homme sur la Lune … ou encore Roberta Williams, la « Gameuse » ayant créé le design du premier jeu d'aventure graphique …
La liste est longue de femmes impressionnantes qui ont façonné l’Histoire de l’informatique. Les pionniers ont en effet été des pionnières… Dans les années 1960, elles représentaient près de la moitié des effectifs travaillants dans l’informatique. Et en 1978, les femmes constituaient la moitié des effectifs étudiant en sciences de l’informatique… Or, peu à peu, au fil des années où ce domaine d’activités a pris de l’importance et du prestige, les femmes ont perdu du terrain face au public masculin.
S’agit-il d’une dérive inévitable ? Ou bien à l’avenir les femmes pourront-elles retrouver le devant de la scène numérique ?
La Commission Européenne publie chaque année un indicateur mesurant la présence des femmes dans l’économie numérique (Women In Digital scoreboard). Leur tableau de bord évalue les performances des États membres dans les domaines de l'utilisation d'Internet, des compétences des utilisateurs d'Internet ainsi que des compétences spécialisées et de l'emploi, sur la base de 12 indicateurs.
Selon les données 2020, les femmes sont moins susceptibles que les hommes d'avoir des compétences numériques spécialisées et de travailler dans ce domaine, car seuls 18% des spécialistes des Technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l'UE sont des femmes. En France ce chiffre s’élève à 21%.
Et qu’en est-il de la présence des Femmes dans l’entreprenariat numérique aujourd’hui ? Les Femmes et les Hommes sont-ils sur un pied d’égalité concernant l’accès aux financements pour monter une start-up dans le Numérique ?
Le récent baromètre sur les conditions d'accès au financement des femmes dirigeantes de startups, publié par SISTA/CNNum/BCG, montre qu’en 2020 en France, les startups fondées par des femmes ou équipes dirigeantes mixtes ont représenté seulement 21% du total. La hausse de 4 points par rapport à 2019 donne un certain espoir. Toutefois, ce résultat nous montre qu'aujourd'hui, les hommes dominent largement l'univers des startups. De même, au niveau du financement, en 2020 les investisseurs se tournent majoritairement vers les équipes masculines, puisque celles-ci représentent 85% des start-up financées.
Et pourtant, investir dans une startup co-fondée par des femmes assure de belles perspectives en termes de résultats : le cabinet BCG note qu’en termes de retour sur investissement (ROI), pour un dollar investi, les fonds récupéreraient 0,78 centimes pour une startup féminine ou mixte contre 0,32 centimes pour une startup masculine.
La réalité est donc bien celle d’une sous-représentation des femmes dans le numérique. Minoritaires certes, mais pas inexistantes. Pour lutter contre ce déficit de femmes, de nombreuses associations, fondations et autres collectifs ont été créés afin de mettre en avant ou promouvoir la place des femmes dans le monde du Numérique. C’est le cas notamment de « JFD » : la Journée de la Femme Digitale. Cette dernière, co-fondée par Delphine Remy-Boutang, se présente comme un « accélérateur de croissance ». En avril dernier, JFD a publié avec Madame Figaro l’édition 2021 des entrepreneuses du Numérique « qui s’engagent pour les nouvelles générations », braquant le projecteur sur huit entrepreneuses du Numérique.
Les chiffres montrent que les femmes sont encore trop minoritaires par rapport aux hommes dans le numérique. Pourtant, le problème n’est pas tant celui de l’absence des ces dernières dans l'IT, ou d'un désintérêt de leur part. Il s’agit plutôt d’un manque de visibilité de ces entrepreneuses.
Les médias ont en effet une responsabilité dans le traitement qui est fait de la présence féminine dans le secteur du numérique. On se souvient par exemple de la levée de boucliers provoquée par la Une du magazine Capital en 2017. En effet, cette dernière était consacrée aux créateurs de start-up de l’IT française qui s’exportent… Problème : dans le panel des dirigeants mentionnés, aucune femme n’y figurait ! En réaction à cela, une tribune avait été publiée par un collectif d’entrepreneuses françaises du numérique pour mettre en avant leur réussite toute aussi retentissante que celle de leurs homologues masculins.
Cette couverture médiatique très lacunaire entraîne par voie de conséquence une méconnaissance des personnalités pouvant être inspirantes et susciter des vocations… En d’autres termes, pour séduire les femmes, le Numérique aurait besoin de mettre en avant quelques modèles de réussites. Or, on l’a vu, ces modèles de réussites au féminin existent évidemment. Tout est question de mise en avant à bon escient. Certains diront qu’il devrait même être question ici de « discrimination positive ». Car le fait est que, s’il y a moins de femmes dans le Numérique aujourd’hui, c’est avant tout dû à un manque de vocations à la base…
Les femmes seraient-elles moins propices à embrasser une carrière dans le Numérique ? C’est bien contre ce préjugé que des associations comme « Femmes Numériques » se démènent pour inverser la tendance.
Car le « problème », si problème il y a, il faut le prendre à la racine… au moment où les jeunes femmes étudiantes se dirigent vers leur choix de carrière. Au sein de l’UE, la tendance constatée est bien que la filière du Numérique attire moins les femmes que les hommes. Selon la Commission Européenne, en 2015, parmi les femmes diplômées, seulement 25% l’ont été dans les filières du Numérique. Par ailleurs, seules 13% de ces diplômées travailleraient aujourd’hui dans le secteur du Numérique. Selon cette même étude, en France, en dix ans, le pourcentage de filles dans les filières scientifiques et techniques n’a augmenté que de deux points.
En la rentrée 2019 en première générale, selon les chiffres du Ministère de l’Education Nationale, la spécialité « Numérique et Sciences Informatiques » a été choisie par 2,6% de l’ensemble des filles, contre 15,2% pour les garçons. Alors que les matières sur lesquelles les filles sont le plus majoritaires, à 85%, sont les « humanités, littérature et philosophie, langues, SES ».
Comme en témoigne Isabelle Collet dans son livre Les Oubliées du Numérique (2019), une étude réalisée en Malaisie au début des années 2000 à la Faculté d’Informatique de Kuala Lumpur, par la chercheuse norvégienne Vivian Lagesen, est assez éclairante. Dans cette institution, tous les responsables de départements ainsi que la doyenne sont des femmes. De même dans l’état de Penang, le nombre d’étudiantes en informatiques s’élève à 65%. De plus, 70% des professeurs en informatique sont des femmes, ainsi que la doyenne de la Faculté. A la même époque, en France, le nombre des femmes dans les écoles d’ingénieurs en informatique s’élevait péniblement à 10%. Comme le précise Isabelle Collet, la chercheuse parle, non sans humour de la réalisation d’une utopie cyber-féministe !
Les raisons seraient à la fois politiques et culturelles. En Malaisie, depuis les années 70, le gouvernement a mis en place des lois pour encourager l'accès et la participation des femmes à l'éducation, à la science et aux technologies. Par ailleurs, toujours selon l’étude de Vivian Lagesen, lorsque l’on questionne les étudiantes en informatique malaises sur leur choix de carrière, elles évoquent des raisons culturelles : selon elles, l’informatique n’est pas un travail de force et il peut être exercé de chez soi, ce qui est compatible avec une vie de mère de famille.
En Europe, différentes raisons expliquent le déficit des femmes dans le Numérique. Les plus souvent citées sont la persistance des préjugés de genre, l’autocensure des femmes elles-mêmes et surtout le fameux « plafond de verre ». En effet, ce dernier existe dans tous les secteurs et freine la progression des femmes aux postes à responsabilités.
Pourtant, une étude publiée en 2011 dans Harvard Business Review indiquerait que les groupes majoritairement composés par des femmes seraient manifestement plus intelligents que les autres ! Le Professeur Michael Ferrary a étudié la féminisation des entreprises françaises via un portefeuille composé de 15 entreprises du CAC40. Leur hiérarchie est féminisée à au moins 35%, et sur des secteurs très diversifiés. Il est possible de citer le Luxe, la Communication, la Santé et la Finance. Il a étudié ce portefeuille de valeurs sur une durée de 10 ans, entre 2006 et 2016.
Qu’a-t-il constaté ? Ce portefeuille « féminisé » a gagné 60% en valeur. Et ce, indépendamment du contexte, alors que la valeur du CAC 40 dans son entièreté perdait 4%. D’autres études ont été réalisées sur une centaine d’entreprises en Espagne, en Chine, au Danemark ou encore aux Etats-Unis. Celles-ci tendraient à démontrer que les entreprises féminines sont plus innovantes en termes de Produits et de Management. En effet, la féminisation encouragerait un supplément d’intelligence collective par l’intelligence émotionnelle, exprimée par une capacité d’écoute, d’empathie et de respect des contributions des autres.
Dans le Numérique comme ailleurs, les Femmes ont donc toutes leur rôle à jouer afin d’écrire l’Histoire à venir. Cela nous permettrait ainsi d'exploiter au mieux notre potentiel d'intelligence collective.
Sources :
[1] https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/library/country-reports-women-digital-scoreboard
[2] https://www.bcg.com/publications/2018/why-women-owned-startups-are-better-bet
[3] https://www.frenchweb.fr/un-oubli-capital/301692
[4] https://www.education.gouv.fr/choix-de-trois-specialites-en-premiere-generale-la-rentree-2019-15-combinaisons-pour-80-des-eleves-3245
[5] https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110707trib000634787/les-femmes-bientot-plus-puissantes-en-malaisie-.html
[6] Les Oubliées du Numérique, d’Isabelle Collet (Editions Le Passeur, 2019)
[7] Supercollectif : la nouvelle puissance de nos intelligences, Emile Servan – Schreiber (Editions Fayard, 2018)