Cet article est le troisième et dernier article de la série “Maitrisez l'Agilité en distanciel”. Il est dans la suite logique des précédents, auxquels il fait plusieurs fois référence : “Distanciel : Les bonnes pratiques en réunion” et “Les rituels Agiles en distanciel”. Maintenant que nous savons comment interagir efficacement avec nos collègues à distance, et que nous avons su adapter nos pratiques Agiles au distanciel, posons-nous la question de savoir quels en sont les bénéfices ?
“One of the secret benefits of using remote workers is that the work itself becomes the yardstick to judge someone’s performance.” Jason Fried
En présentiel, il existe de nombreux moyens de se valoriser auprès de ses collègues et de sa hiérarchie, par exemple en vue d’une promotion ou d’une augmentation :
En présentiel, il existe de nombreux moyens de se valoriser auprès de ses collègues et de sa hiérarchie, par exemple en vue d’une promotion ou d’une augmentation : relations amicales intéressés avec certains collègues bien choisis, exacerbation du faire savoir plutôt que du savoir faire, présentéisme stratégique [1]… Tout cela a peu à voir avec ce qui devrait pourtant être central : la qualité intrinsèque de notre travail. En distanciel par contre, tous ces procédés ne sont certes pas impossible mais se révèlent plus compliqués à mettre en œuvre, notamment par la réduction des opportunités d’échange informel. Naturellement la balance tend donc à pencher plus fortement vers l’évaluation du travail réalisé, ou plus précisément des effets concrets et observables de ce travail. Ce qui est une excellente chose, d’ailleurs l’un des principes Agiles ne dit-il pas “Un logiciel opérationnel est la principale mesure d’avancement”
En outre, le travail à distance encourage l'adoption et l'amélioration des outils numériques de collaboration, tels que Jira, Miro, et Zoom. Essentielles pour les équipes distantes, ces technologies facilitent la communication en temps réel et le suivi des tâches - bref la transparence, vecteur essentiel de la visualisation des performances réelles.
Le travail à distance permet aux individus, et donc aux équipes, de gérer leur temps de manière plus autonome, ce qui est particulièrement bénéfique dans un cadre agile où l'adaptation et la réactivité sont clés. Les membres de l'équipe peuvent étendre ou moduler leurs plages horaires de travail, ce qui peut augmenter la productivité individuelle et collective. Attention tout de même : il faut garder la capacité de se réunir régulièrement tous ensemble, notamment pendant les rituels Agiles. L’amélioration de l’équilibre travail-vie personnelle comporte quelques limites notables - notamment de son application inégale suivant les métiers ou le genre [3] - mais beaucoup de remote workers soulèvent tout de même positivement la réduction du stress consécutives aux facilités induites par cette flexibilité, rendant ainsi les équipes plus engagées et plus performantes. Il va sans dire que ces réflexions sont valables dès lors que cette flexibilité n’est pas imposée par le manager ou l’organisation, au delà des limites du du droit du travail.
Le travail à distance peut également renforcer la compétence d’auto-organisation des équipes, car éloignés de leur managers ou du Scrum Master, les membres de l'équipe sont conduits à prendre plus de responsabilités individuelles pour coordonner leur travail, planifier leurs tâches et respecter les délais, ce qui est en accord avec les principes de l'agilité.
“Les meilleures architectures, spécifications et conceptions émergent d'équipes autoorganisées.” Manifeste Agile, 2001
Ce surcroit de flexibilité s’observe également lorsqu’il s’agit de recruter des équipiers. Le travail à distance permet aux entreprises d’accéder à un vivier de talents plus large, par la réduction des contraintes géographiques. Toutefois cela reste limité par la maitrise de la langue (peut-être plus pour longtemps avec les progrès considérables réalisés en termes de traduction vocale en temps réel). Et bien sûr aussi par le décalage horaires : pas évident de faire travailler ensemble un Scrum Master à Paris et un Product Owner à Sidney ! Quoiqu’il en soit, cela peut renforcer les équipes Agiles en apportant une diversité de perspectives et d'expertises, essentielles pour l'innovation et la résolution de problèmes.
Beaucoup pointent que travailler à distance peut offrir un environnement plus calme et personnalisé, réduisant les distractions courantes dans un bureau physique. Cela peut améliorer la concentration pendant les sprints ou les périodes de développement intense, nécessitant une concentration particulière. Cela est évidemment très largement dépendant de la taille du logement et de la configuration familiale. Mais plus fondamentalement, je suis dubitatif quant à cette assertion. En effet, la généralisation du travail hybride s’est s’accompagné d’une augmentation des notifications d’événements dans notre environnement de travail (pour beaucoup d’entre nous : notre laptop)
Ces notifications présentent un intérêt relatif : elles peuvent être importantes pour certains de nos collègues, mais ne présenter aucun intérêt pour nous. Leur criticité est variable, du message à caractère purement informatif jusqu’à l’urgence nécessitant une réaction immédiate. Evidemment dans la plupart des cas, il faudra consulter la notification pour s’assurer de sa criticité. Certes il est souvent techniquement plus ou moins possible de configurer leur apparition, mais dans la pratique je n’ai pu l’observer que rarement. Nous pouvons aussi bien sûr nous définir comme busy, ce qui théoriquement permet de réduire ou de décaler dans le temps l’apparition des notifications. Mais comme vu plus haut cette fonction peut à mon avis comporter des biais problématiques, ou ne pas s’adapter à certains métiers : pour ma part je m’interroge sur la pertinence d’avoir par exemple un Scrum Master qui refuserait d’être contacté par son équipé sur certaines plages horaires… Enfin, tenter de simplement ignorer ces notifications semble assez illusoire, tant c’est bien leur nature imprévisible qui active ce fameux système de récompense du cerveau, et qui renforce le lien entre nos réactions et la notification [4].
Au contraire en présentiel, il me semble que notre position géographique dans le bureau dit assez clairement à nos interlocuteurs potentiels notre volonté d’interagir ou non : à notre siège dans l’open-space, dans la cafète, seul dans une salle de réunion ou dans un espace silence comme les bureaux modernes aiment s’en doter. Même notre attitude corporelle - profondément concentré, le regard sur son écran, ou au contraire, relâché au fond de son siège, ce même regard à hauteur de ceux de ses voisins - suffit inconsciemment le plus souvent à gérer finement le déclenchement des interactions avec nos collègues. Bref : il y a encore du travail pour transposer ces signes subtils dans un monde virtuel !
On pense naturellement aux économies sur les locaux d’entreprises. Selon Global Workplace Analytics, les entreprises américaines pourraient économiser jusqu’à 11000$ par employé et par an en adoptant le télétravail. [5]. Prudence tout de même : les gains peuvent être moins élevés qu’espérés. Le télétravail ne réduit de manière significative l'énergie consommée par les bâtiments que si le site est complètement fermé : on chauffe (ou on climatise l’été) sensiblement autant que les bureaux soient remplis à 100% ou à 10%. C'est la conclusion principale d'une étude réalisée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l'Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB). Cette étude a mesuré la consommation d'énergie sur des sites de bureau, à domicile pour les employés et pour leurs déplacements, afin d'évaluer les économies d'énergie réalisées lorsque les bureaux sont fermés [6].
De manière tout aussi évidente, la possibilité de recruter des collaborateurs au delà des limites géographies induites par la nécessité du présentiel et de la colocalisation (même hybride) permet potentiellement de bénéficier de coûts du travail inférieurs. Je me retrouve naturellement moi même régulièrement en concurrence avec des coachs Agiles ou des Scrum Masters de pays ou les salaires sont bien inférieurs qu’en France. Certes nous restons nous mêmes moins “chers” que dans certaines parties du monde (Europe du nord, Canada, certaines villes Américaines comme New York…) [7]. En l’absence de contraintes sociales ou d’harmonisation fiscale aux échelles supranationales, il ne semble pas y avoir d’autre choix que de justifier de compétences supérieures et d’un je ne sais quoi en plus !
L’Agilité et l’essor du travail à distance ou hybride sont deux tendances majeures qui devraient perdurer. Les organisations cherchent à devenir moins hiérarchiques et plus réactives en adoptant l’Agilité, tandis qu'un nombre croissant d'employés souhaitent travailler à distance, au moins une partie du temps. Pour s'adapter à cette nouvelle réalité, nous devons ajuster nos pratiques Agiles : et ça tombe bien, car l’Agilité c’est l’adaptation au changement ! Comme nous l’avons vu ensemble, l’Agilité peut parfaitement cohabiter avec le distanciel, et même s’en nourrir, au prix de quelques adaptions et précautions (voir de subtiles transgressions) : le format des échanges, les canaux de communication, les outils mobilisés et une attention particulière portée à l’expression orale et à l’illustration visuelle de nos propos. Bien que ces solutions s'appliquent principalement à la pratique Agile en distanciel, elles peuvent aussi être utiles pour le travail hybride en général.
Merci de nous avoir suivi tout au long de cette série de 3 articles !
[1] Sur le présentéisme, on pourra lire cette critique des Echos (https://solutions.lesechos.fr/equipe-management/c/presenteisme-5-minutes-pour-comprendre-ce-phenomene-contre-productif-38848/, 2023) ou se risquer à lire cet article croustillant de Nicolas Framont pour Frustration Magazine (2024) : https://www.frustrationmagazine.fr/presenteisme/.
[2] Cette étude de Buffer (2023) montre que la flexibilité des horaires est l'un des principaux avantages cités par les travailleurs à distance, ce qui est en ligne avec les principes agiles de réactivité et d'adaptabilité : https://buffer.com/state-of-remote-work/2023.
[3] Claudia Senik est professeure à Sorbonne-Université et à l'École d'économie de Paris. Dans "Le travail à distance. Défis, enjeux et limites” aux éditions La Découverte (2023), elle observe que, bien que plus désireuses de bénéficier du télétravail, elles l’exercent en proportion moins que les hommes.
[4] Les ressources à ce sujet sont nombreuses, lire par exemple cet article à libre accès de Sibylle Turo, docteure en psychologie cognitive et postdoctorante projet HUT, Université de Montpellier, et Anne-Sophie Cases, professeure, laboratoire MRM, Université de Montpellier, dans Ouest-France (2024) : https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2024-04-19/telephone-mails-notifications-voici-comment-toutes-ces-interruptions-destabilisent-notre-cerveau-6c26ad13-1cf1-4206-bb1d-96fda9dd39e1.
[5] Etude “Telework Savings Potential” de Global Workplace Analytics: https://globalworkplaceanalytics.com/cut-oil.
[6] Téléchargez gratuitement les conclusions du rapport sur l’expérimentation sur le bilan énergétique du télétravail réalisé par l’ADEME et l’IFPEB : https://librairie.ademe.fr/energies-renouvelables-reseaux-et-stockage/6294-experimentation-sur-le-bilan-energetique-du-teletravail.html#:~:text=Une expérimentation de cinq mois,- 100 agents télétravailleurs volontaires.
[7] Le rapport "Global Human Capital Trends 2020" par Deloitte explique comment le travail à distance permet aux entreprises d'accéder à une main-d'œuvre mondiale, élargissant le bassin de talents et apportant plus de diversité aux équipes : https://www2.deloitte.com/cn/en/pages/human-capital/articles/global-human-capital-trends-2020.html.
[8] Etude "Constant Companion: A Week in the Life of a Young Person's Smartphone Use" de Common Sense Media” (2023) : https://www.commonsensemedia.org/research/constant-companion-a-week-in-the-life-of-a-young-persons-smartphone-use.