Dans le deuxième épisode de notre série "L'hôpital par les patients", nous partons au Royaume-Uni pour étudier le programme des « Binômes collaboratifs » lancé par la fondation King’s Fund. Dans ce programme, patients et professionnels de santé travaillent en binômes à l’amélioration de l’organisation des soins.
Co-construire le système de santé de demain avec les patients ? La fondation King’s Fund (Royaume-Uni) croit en cette perspective et par son programme « Collaborative pairs » (Binômes collaboratifs), lancé en 2015, essaie de l’explorer et de la rendre plus concrète.
Dans ce programme, des binômes composés de professionnels de santé et de patients travaillent ensemble sur des projets d’amélioration de l’organisation de soins : optimisation d’un parcours de soins, accès aux soins des populations défavorisées, amélioration de la satisfaction des patients… « Notre fondation est engagée en faveur de la participation des patients à la conception et l’organisation des parcours de soins », affirme Mark Doughty, l’un des responsables et animateurs du programme. « Mais comment cela peut fonctionner concrètement ? Nous souhaitons aider notre système de santé à réfléchir à la façon de travailler différemment avec les patients et les communautés ».
Le programme des Binômes collaboratifs est né d’un constat : la collaboration avec les patients est nécessaire pour faire évoluer le système de santé mais elle implique un changement profond au niveau des mentalités, à la fois des professionnels de santé et des patients eux-mêmes. C’est ce changement de mentalités, et les modalités de sa mise en place, qui font l’objet du dispositif, dont la première édition a démarré en septembre 2015. Le King’s Fund a invité des patients, professionnels de santé, acteurs locaux à se présenter, en binômes, pour explorer ensemble la question de la construction d'une relation collaborative avec les patients et ensuite du développement d'une culture collaborative au sein de sa propre organisation.
Qu’est-ce qu’on entend exactement par relation collaborative ? Selon la définition du King’s Fund, « les professionnels de santé et les patients passent d’une relation de type ‘nous/eux’, dans laquelle le pouvoir est détenu par le professionnel de santé, à une nouvelle relation dans laquelle le pouvoir est partagé. La principale caractéristique d’une relation collaborative est le fait que tout soit partagé : les objectifs, le leadership, les responsabilités ».
Pour la première édition, 12 binômes se sont formés et ont été accompagnés sur une période d’environ 6 mois. Pendant cette période, chaque binôme s’est investi, au travers d’un projet concret mené au niveau local (un hôpital, un territoire…), dans la construction d’une relation collaborative.
Les binômes se sont aussi réunis 5 fois pour des ateliers d’une journée chacun, animés par les facilitateurs du King’s Fund. Lors de ces ateliers, ils ont travaillé sur le développement de leurs compétences interpersonnelles, leur leadership et la capacité à fédérer d’autres acteurs autour de leur projet.
Entre un atelier et le suivant, les facilitateurs ont suivi les binômes en les aidant à faire le point sur l’évolution de leur relation et à la manière de faire face aux différents obstacles qu’ils ont pu rencontrer.
Selon M. Doughty, pour faire changer les mentalités et créer les conditions pour de nouvelles formes de collaboration avec les patients, le système de santé doit investir dans le développement des capacités relationnelles à la fois des professionnels qui opèrent dans le système mais aussi des patients, usagers et aidants.
Pour que la collaboration avec les patients puisse prendre forme, il est nécessaire de développer les capacités propres à l’intelligence émotionnelle, telles que la conscience de soi, la capacité à identifier et explorer ses propres croyances et préjugés et ceux d’autrui, les capacités et la confiance pour être leader de soi-même, la capacité à influencer différentes parties prenantes et à travailler dans un cadre de diversité des modes de pensée et de comportement.
« Dans le système de santé du Royaume Uni, ce focus sur les capacités relationnelles et le leadership va à contre-courant – explique Monsieur Doughty - car le système privilégie plutôt les éléments « hard » tels que les structures, les procédures, les tâches, les objectifs et les indicateurs ».
Pour les binômes qui participent au programme, le chemin pour construire une relation collaborative n’est pas dépourvu d’obstacles. « Quand les binômes rejoignent le programme – explique Monsieur Doughty – ils ont tendance à se concentrer sur les tâches à réaliser pour faire avancer leur projet. Autrement dit, ils se concentrent plus sur le « quoi faire » que sur le « comment le faire », ce qui peut vite les amener à oublier que le projet n’est qu’un moyen en vue du véritable but qui est d’apprendre à travailler dans le cadre d’un partenariat collaboratif ».
Autre obstacle : dès qu’un binôme est confronté à une difficulté ou à une situation de stress, les rapports de force traditionnels ont tendance à réapparaître, et les participants, à reculer vers leurs modes de comportement habituels. « Le professionnel de santé reprend sa posture d’expert et essaie d’imposer son autorité. Quant au patient, il n’ose plus challenger le professionnel de santé, ou alors il réagit de façon puérile, comme s’il était dans une relation enfant/parent avec le professionnel de santé ».
Selon Monsieur Doughty, « le challenge pour les participants au programme est d’apprendre à être des partenaires égaux en étant dans un système qui ne partage pas cette approche collaborative ». Les ateliers collectifs proposés dans le cadre du dispositif sont alors l’occasion pour permettre à chaque binôme de prendre du recul et se refocaliser sur la relation collaborative. Grâce à l’échange avec les facilitateurs et les autres binômes, les participants voient les relations collaboratives prendre forme et ils peuvent expérimenter de nouvelles approches et comportements dans un cadre de sécurité.
Suite aux deux aux premières éditions, l’équipe qui a conçu et animé le programme a mis en évidence 5 facteurs clés de succès pour la construction d’une relation collaborative entre professionnels de santé et patients :
Trouver un partenaire qui soit motivé à travailler de manière collaborative. Identifier un projet qui réponde à de réels enjeux. Définir des principes de travail partagés. Trouver du support et du financement pour le projet.
Soutenir les parties prenantes – patients, professionnels, usagers – dans leur parcours de développement des capacités à travailler de manière collaborative, ce qui implique des investissements en termes de temps, d’énergie, d’engagement.
Prévoir régulièrement des moments pour réfléchir et faire le point, individuellement et en binôme, sur ce qui a été appris. Tracer cet apprentissage et le partager au sein de son organisation.
Le travail en mode collaboratif peut aller à l’encontre des mentalités et des pratiques établies au sein d’une organisation (hôpital ou autre). Il est préférable pour les Binômes collaboratifs d’essayer d’obtenir des résultats concrets avant de rechercher une légitimation de l’approche collaborative de la part de la hiérarchie.
Pour conclure, comment pourrait évoluer l’initiative dans les prochaines années ? Selon M. Dougthy, la priorité du King’s Fund est de trouver des solutions pour que l’approche collaborative puisse alimenter un changement culturel à plus grande échelle dans le système de santé britannique. Dans cet esprit, les responsables du programme réfléchissent à la possibilité de lancer plusieurs binômes au sein d’une seule et même organisation, par exemple un hôpital (cette piste est actuellement en cours d’expérimentation dans le groupement d’hôpitaux Barts Health).
Une autre piste à l’étude serait de créer des espaces et des formats pour que l’expérience des Binômes collaboratifs puisse être animée par d’autres acteurs que le King’s Fund lui-même. Pourquoi pas aussi en France ?
A propos du King’s Fund : Créé en 1897, le King’s Fund est une fondation indépendante engagée dans l’amélioration du système de santé anglais au travers d’un travail de recherche, d’analyse des politiques publiques et d’accompagnement des acteurs de santé au niveau national et local.