Pourquoi autonomie et responsabilité sont-elles devenues essentielles dans les organisations ? Tout d’abord du fait du décalage croissant entre formes d’organisations traditionnelles et attentes des collaborateurs. Mais comment libérer le potentiel humain tout en assurant la performance collective ? Très tôt chez Aneo nous avons refondé notre modèle sur l'autonomie et la responsabilisation des salariés. Laissez-nous donc répondre à cette question en vous partageant nos convictions et notre expérience.
« Great leadership isn’t about control. It’s about empowering people. » — Brigette Tasha Hyacinth [1]
Dans un environnement professionnel en constante mutation, où l'innovation et l'adaptabilité sont devenues des impératifs stratégiques, l’autonomie et la responsabilité des collaborateurs émergent comme des leviers essentiels de performance et d’engagement.
Définition de l’autonomie en entreprise : l’autonomie organisationnelle peut être définie comme la capacité d’un individu ou d’une équipe à prendre des décisions et à agir librement dans un cadre donné, sans supervision constante. Elle implique un degré de liberté dans l'exécution des tâches, l'initiative individuelle et la participation aux décisions collectives.
« Autonomy at work is not the absence of rules, but the ability for individuals to have meaningful control over their environment and actions. » — Edward Deci & Richard Ryan [2]
Définition de la responsabilité dans l’organisation : la responsabilité ne se limite pas à rendre compte des actions menées en son nom au commanditaire. Elle implique d’être conscient des conséquences de ses actions, et de s’engager activement dans la réussite collective. Dans une organisation responsabilisante, chacun assume un rôle qui contribue à l’atteinte des objectifs du collectif dans son ensemble.
Un équilibre entre liberté et cadre : L’autonomie sans responsabilité peut mener à l’anarchie, tandis qu’une responsabilisation excessive sans autonomie peut engendrer du stress et de la frustration*,* des dysfonctionnements et la dilution des responsabilités [3]. Le défi des organisations modernes est donc de trouver l’équilibre entre donner du pouvoir aux équipes tout en garantissant une cohérence globale.
"[knowledge workers] largely are in control of their own tasks and must be in control of their own tasks. For they, and only they, own and control the most expensive of the means of production—their education—and their most important tool—their knowledge." — Peter Drucker
Les structures hiérarchiques descendantes, caractérisées par une prise de décision centralisée et une forte segmentation des responsabilités, ont longtemps été (sont toujours ?) le modèle dominant dans les entreprises. Pourtant, face à un environnement économique et technologique en mutation rapide, elles montrent de plus en plus leurs limites. Deux principaux défis émergent : lenteur décisionnelle et désengagement à tous les étages, caractéristiques d’un tropisme bureaucratique excessif, comme l’avait décrit David Graeber dans son truculent essai Bullshit jobs (2019).
Complexité et lenteur décisionnelle
Les 12 travaux d’Asterix, 1976
Dans un modèle hiérarchique traditionnel, les décisions doivent souvent traverser plusieurs strates, être documentées, justifiées, valorisées, vues, revues et re-revues, validées et multi-tamponnées avant d’être - enfin - approuvées. Entre autres écueils (déresponsabilisation, “perte de qualité du signal”, perte de sens…), cette bureaucratie excessive et ces multiples étapes introduisent des délais supplémentaires qui, mis bout à bout, décision après décision, ralentissent l’adaptation de l’organisation dans son ensemble au changement. Qu’est ce qui conditionne le succès de long terme ? C’est la question que pose Gary Hamel dans The future of Management (2007). D’après lui, il ne s’agit non pas de l’excellence opérationnelle, d’une rupture technologique ou d’un business model innovant, mais bien d’innovation managériale : mobiliser les talents, allouer efficacement les ressources, et concevoir des stratégies opérantes. Un contre-exemple fameux est l’entreprise autrefois novatrice et florissante Kodak, qui n’ayant pas su pivoter, s’est vue dépasser par ses concurrents Sony et Canon. Les exemples ne manquent pas : Blockbuster (location de VHS et DVD), BlackBerry, Xerox…
Désengagement des collaborateurs
Dans une structure descendante classique, les salariés ne sont guère encouragés à proposer des idées ou à prendre des initiatives. Cela entraîne de leur part une frustration et une perte de motivation : même si cette proportion augmente régulièrement depuis 2009 (et stagne ces dernières années), le baromètre annuel mondial Gallup de 2024 révèle que seulement 23% des employés dans le monde se sentent réellement engagés dans leur travail [9]. Un des facteurs majeurs ? Le manque d’autonomie et la sensation de ne pas avoir d’impact sur les décisions de l’entreprise. Daniel Pink, dans Drive: The Surprising Truth About What Motivates Us (2009), montre que l’autonomie est un levier majeur de motivation, bien plus efficace par exemple que la simple récompense financière. Les entreprises qui ne responsabilisent pas leurs salariés voient une augmentation du turnover et une baisse de l’engagement. À l’inverse, les organisations favorisant l’autonomie (comme Spotify, Netflix ou Google, parmi les exemples les plus fameux) affichent une satisfaction plus élevée et une plus grande rétention des talents.
La thèse du Spillover : autonomie au travail et pratique démocratique
Cette thèse a été développée par la politologue britannique Carole Pateman en 1970 : elle stipule que l'autonomie sur le lieu de travail et la participation aux décisions de l'entreprise peuvent induire une pratique démocratique plus intense [11]. C'est une intuition ancienne. John Stuart Mill semble avoir été le premier à explicitement associer aliénation au travail et passivité démocratique : « la capacité à s'autogouverner, comme les autres facultés, tend à s'améliorer par la pratique, et devient capable de s’élargir à d’autres sphères de pratique » (1848). Rester à le démontrer de façon empirique. Le chercheur français Thomas Coutrot a fait un premier pas dans ce sens, en montrant d’après les derniers résultats aux élections françaises, que le manque d'autonomie au travail était positivement corrélé au vote Rassemblement National et à l'abstention [12]. Raison de plus pour l’encourager !
RIP la hiérarchie ?
Les entreprises “opales” de Laloux (Buurtzorg, Morning Star) montrent qu’une organisation sans hiérarchie peut être plus performante et humaine [4]. Même sans aller jusqu’à supprimer toute hiérarchie, il convient donc de dépasser ce modèle pyramidal pour redonner sens et liberté de manœuvre aux acteurs de l’organisation. L’autonomie ne signifie pas l’isolement : elle favorise la coopération ; c’est donc un levier essentiel permettant d’activer l’intelligence collective [5].
"Le tout est plus que la somme de ses parties." — Aristote
Pierre Lévy, philosophe spécialiste du sujet, la définit ainsi « L'intelligence collective est l'art de maximiser simultanément la liberté créatrice et l'efficacité collaborative » [10]. L’intelligence collective repose sur l'idée que la collaboration entre individus permet d’atteindre des résultats supérieurs à ceux obtenus individuellement. Des entreprises novatrices ont su capitaliser sur cette dynamique en adoptant des structures flexibles, où les équipes s’autoorganisent autour de problématiques complexes. Par exemple, chez Google, la règle des "20 % de temps libre" permet aux salariés de consacrer une partie de leur temps à des projets innovants en dehors de leur périmètre habituel : c’est ainsi que Gmail et Google Maps ont vu le jour. Plus modestement chez Aneo, nous avons repris ce même principe pour encourager chaque salarié à investir une part de son temps de travail dans des projets innovants - dont un bon exemple est Qyma ! L’enjeu consiste à favoriser une forte autonomie tout en garantissant un alignement global sur les objectifs stratégiques de l’organisation. Cette capacité à mobiliser les idées et les expertises de chacun dans un cadre responsabilisant est un puissant levier de performance, réduisant la latence décisionnelle et stimulant l’innovation.
Chez Aneo, nous avons pivoté vers l’entreprise aplatie et responsabilisante dès 2014. Les anciennes Business Units se sont muées en cercles de compétences se créant ou se reconfigurant spontanément, en fonction des besoins, largement autonomes dans leur mode de fonctionnement et d’organisation, et simplement redevables envers le reste de l’entreprise d’un nombre limité de points précis : gestion des compétences, capitalisation des connaissances, influence dans et hors d’Aneo… [8]. Cette transformation a coïncidé logiquement avec la fin des liens hiérarchiques traditionnels au profit de rôles, comme par exemple celui de “leader RH” : après s’être vu assigné dès avant son arrivée un “parrain” temporaire, chaque nouvel arrivant dans l’entreprise se met en quête d’un Leader RH de grade supérieur, volontaire (et disponible), qui l’accompagnera dans la durée pour l’aider, le conseiller et le faire grandir ; il sera évidemment libre d’en changer à tout moment (et réciproquement).
"People are responsible adults at home. Why do we suddenly transform them into adolescents with no freedom when they reach the workplace?" — Ricardo Semler [6]
Autre exemple très concret : la gestion des congés au regard des contraintes du client est laissée à la responsabilité individuelle, et ne font l’objet d’aucun contrôle ou validation à priori, comme à posteriori (sauf à dépasser le compteur légal !). Nous croyons profondément à un modèle basé sur la confiance et l’engagement. C’est pourquoi nous avons, autre exemple, convenu de supprimer les bonus individuels au profit de rétributions collectives, basée sur des règles partagées avec tous. La gouvernance, organisée autour des cercles et des communautés, est ouverte et décentralisée. L’expérience d’Aneo rejoint ainsi les conclusions de Deci & Ryan sur la théorie de l’autodétermination (Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior, 1985).
Une organisation sous amélioration continue
"The only sustainable competitive advantage is an organization's ability to learn faster than the competition." — Peter Senge [7]
Mais il ne suffit pas de se transformer une fois façon big bang, et d’ensuite ne plus rien changer. Chez Aneo, nous concevons la transformation comme un mouvement perpétuel. Concrètement, cela implique une culture d’expérimentation et d’amélioration continue au jour le jour. Nous abordons d’ailleurs la transformation de notre organisation (et par extension celle de nos clients) comme un pur sujet de Recherche & Développement. Au moyen de respirations régulières autour des cercles et des communautés, nous nous adaptons continuellement en fonction des retours directs ou indirects des collaborateurs. Plus récemment, les thématiques RSE sont venues matérialiser des préoccupations anciennes, par exemple l’égalité salariale (index d’égalité professionnelle femme-homme 2023 de 80) ou l’inclusion.
"The best way to predict the future is to create it." — (attribué à) Peter Drucker, 2009
Nous l’avons vu, engagement, innovation et performance sont les fruits d’une autonomie et d’une responsabilisation accrue des collaborateurs. Mais fidèles à nos convictions, nous devons vous avertir qu’il n’y pas de recette miracle préétablie, qu’il suffirait d’appliquer mécaniquement : vous devez expérimenter, et expérimenter encore, et ne jamais perdre de vue que toute organisation collective se doit d’être au service du potentiel et de l’intelligence des femmes et des hommes qui la font vivre.
[1] "Le véritable leadership ne repose pas sur le contrôle, mais sur la confiance et l’autonomisation.", citation issue de “Leading the Workforce of the Future: Inspiring a Mindset of Passion, Innovation and Growth”, 2020
[2] "L'autonomie au travail n'est pas l'absence de règles, mais la possibilité pour les individus d'avoir un contrôle significatif sur leur propre environnement et leurs actions.", citation issue de “Self-Determination Theory: Basic Psychological Needs in Motivation, Development, and Wellness” de de Richard M. Ryan et Edward L. Deci, 1985
[3] Lire à ce sujet notre article publié en 2024 sur les risques liés à la délégation de responsabilité, et les moyens de s’en prémunir : https://www.aneo.eu/blog/limites-delegation-responsabilite.
[4] “Reinventing Organizations” de Frédéric Laloux, 2014
[5] Lire à ce sujet notre article publié en 2024 sur l’Intelligence Collective : https://www.aneo.eu/blog/intelligence-collective-ou-intelligence-artificielle.
[6] “Les gens sont des adultes responsables, pourquoi dès lors qu’ils franchissent les portes de l’entreprise sont-ils considérés comme des enfants dénués de libre choix ?” Ricardo Semler est un entrepreneur brésilien, PDG de l’entreprise Semco, et dont le succès a largement été attribué à son management original, promouvant autonomie et responsabilité des salariés. Il en a tiré deux ouvrages à succès “Maverick” (1995) et “The seven day week-end” (2004).
[7] "Les organisations les plus performantes sont celles qui apprennent plus vite que leurs concurrents." Professeur de management, Peter Senge est notamment l'auteur de "The fifth discipline" (1990) dans lequel il développe aux cotés de Chris Argyris le concept d'organisation apprenante développé.
[8] Voir par exemple la présentation du cercle Agile, qui a mené un reboot en 2023 visant à recréer de l’engagement après la période du Covid, en passant notamment par le principe de l’élection sans candidat de sa core team (son instance de pilotage) : https://www.aneo.eu/blog/cercle-agile-aneo-promouvoir-culture-agilite.
[9] State of the Global Workplace, Gallup : https://www.gallup.com/workplace/349484/state-of-the-global-workplace.aspx.
[10] L’intelligence collective : Pour une anthropologie du cyberespace, Pierre Levy, 1994
[11] "One of the prominent theoretical explanations for why workplace-based participation and democracy could induce stronger political participation”, par Carole Pateman dans "Participation and democratic theory, 1970 [12] "Le bras long du travail : Conditions de travail et comportements électoraux", par Thomas Coutrot (2024) : https://ires.fr/publications/documents-de-travail-de-lires/n01-2024-le-bras-long-du-travail-conditions-de-travail-et-comportements-electoraux/