Parler d’agilité devient un lieu commun. Pour autant, le débat est encore loin du consensus d’évidence au sein de la communauté managériale.
Si sa mise en place au niveau d’une équipe de travail s’appuie sur des méthodes et outils à présent bien maîtrisés, son déploiement à l’échelle de plusieurs centaines de personnes, et plus encore, à l’échelle de la gouvernance de l’entreprise toute entière reste un défi hors de portée pour la plupart des organisations.
Le retour d’expérience d’Orange montre la voie. Marion Guillet-Grégoire, une manager au cœur de l’action propose le récit inspirant d’une « success story » en train de s’écrire.
Orange, comme beaucoup d’autres entreprises, fait face à de grands enjeux. Marché très concurrentiel, diversification des offres de services, nécessité de raccourcir les délais de mise en marché, différenciation par la qualité de l’expérience client, ces nouveaux impératifs changent la donne. De nouvelles façons de s’organiser sont à trouver.
Pour Orange, l’agilité s’est imposée comme la voie la plus sûre pour relever ces défis. L’entreprise a fait le pari d’un dispositif articulé autour de trois caractéristiques majeures : centré client, capable de coordonner efficacement l’action d’équipes pluridisciplinaires, porté par une logique de pilotage par la valeur. En soi, trois petites révolutions.
L’impulsion a été donnée en 2018 au plus haut niveau de l’entreprise. La transformation est vitale.
L’agilité concerne aujourd’hui tous les projets d’Orange France nécessitant des investissements SI sur l’ensemble des applications pour les salariés et les clients, sur l’ensemble des processus métiers ou d’infrastructure, qui permettent la commercialisation, le développement, le déploiement et le support de produits et de services :
Orange a choisi le support du référentiel SAFe® (Scaled Agile Framework). Ce référentiel jouit aujourd’hui d’une forte notoriété internationale, 70% des sociétés du Fortune 100, plus de 700 000 praticiens formés à ce jour.
SAFe® est un dispositif de pilotage transversal opéré par des « trains » de développement regroupant chacun une centaine de personnes au sein d’équipes pluridisciplinaires autonomes, sur des cycles de planification courts de dix à douze semaines, jalonnés d’incréments « sprint » opérationnels de deux à trois semaines.
A l’instar du train DPE (Digital Pro Express) dont Marion Guillet-Grégoire porte la responsabilité, les bénéfices de la démarche sont indiscutables.
Les difficultés de coopération et de coordination se dissolvent par capillarités positives. Noyau dur maintenant durablement solidifié, une confiance réciproque entre les métiers et l’IT s’est installée (ce qui n’est pas rien, le manque de confiance métiers/IT est un nœud de tension dans beaucoup d’entreprises) :
L’esprit agile commence à essaimer en dehors des trains. Une nouvelle culture de management et d’organisation prend corps.
L’entreprise se donne pour ambition d’étendre le dispositif, avec pour cible de piloter 80% de ses projets en agile à horizon 2024. La gestion de projet cycle en V traditionnelle n’est pas amenée à disparaître complètement au sein de l’entreprise mais sur certains pans de l’activité il est devenu essentiel de travailler de façon agile.
Orange porte une attention particulière au volet managérial et RH. La météo des trains agiles remonte que 82% des collaborateurs sont satisfaits.
Les collaborateurs sont mobilisés à 100% de leur temps sur leur train mais restent hiérarchiquement rattachés à leur entité d’appartenance et physiquement en proximité avec leurs collègues métier. Ils continuent d’assister aux réunions d’équipe. Le manager direct reste le décisionnaire sur tous les sujets RH d’avancement, d’évolution de carrière, de promotion.
Véritable partenaire du déploiement de l'agilité, la fonction RH joue un rôle actif. Au niveau central (le programme Agile Orange France) elle accompagne la transformation et précise les attendus RH. Sur ses domaines régaliens, elle intervient en expertise transversale, attirer les talents, aider les collectifs à disposer des bonnes compétences, encadrer la formation, accompagner les managers... A noter qu’il n’y a pas de correspondant RH dédié dans les trains.
Le point de vigilance sur lequel Orange est actuellement particulièrement en attention concerne la stabilité des équipes dans les trains. Le turnover naturel des équipiers, mouvements d’acteurs métiers qui entrent et sortent des trains, renouvellement des contrats des prestataires externes (particulièrement), sont des facteurs perturbateurs avec lequel les trains doivent composer.
Les trains agiles d’Orange sont maintenant sur leurs rails. Le dispositif est parfaitement maîtrisé.
L’entreprise se sent à présent suffisamment en confiance pour franchir l’ultime grand pas : le passage à l’échelle. L’enjeu est d’aller au-delà de la coordination opérationnelle d’équipes dans des trains. Il s’agit de mettre en place un dispositif global de gouvernance stratégique et budgétaire agile articulé autour des chaînes de valeur business.
33 portefeuilles de projets sont actuellement en place : les prises de décisions sur ce qui est engagé et ce qui ne l’est pas sont gérées, non plus par la ligne hiérarchique classique, mais par des collectifs constitués de Business Owners, de représentants IT et de représentants des directions métiers. Ils arbitrent collégialement les investissements et les choix de projets en regard de la stratégie de l’entreprise. Le Top management valide en dernier ressort.
La gouvernance agile des portefeuilles sur le périmètre B2B n’a été lancée qu’en 2020. Le retour d’expérience est donc tout récent.
La mise en œuvre du passage à l’échelle cherche ses équilibres en mode test&learn. Cela prendra du temps. Mais à la clé, rien de moins que la transition vers un nouveau modèle d’entreprise, agile par essence.
Marion Guillet-Grégoire décrit une « success story » inspirante à bien des égards. Pour inviter d’autres à franchir le pas, elle partage quelques recommandations d’expérience.
Sur le « Pour quoi » et les bénéfices apportés par la démarche, elle met en relief :
Sur le « Comment », elle souligne que l’agilité est un état d’esprit tout autant qu’une méthode. Une entreprise, avant de se lancer, devrait avoir commencé par ancrer une culture agile (l’état d’esprit) avec des premières expérimentations sur le périmètre d’une petite équipe (la méthode).
En ce qui concerne le passage à une gouvernance à l’échelle (SAFe® Full Portfolio ou Large Solution), elle insiste sur le fait qu’il s’agit d’une transformation en profondeur de l’entreprise. Une approche par étapes, par petits pas incrémentaux, est LA clé incontournable de la réussite. La formation de l’ensemble des acteurs clés engagés est indispensable, du leader aux collaborateurs. Un accompagnement par des coach expérimentés est fortement recommandé.
Un autre enjeu qu’elle met en exergue est l’importance de la transparence et de la communication :
Elle termine en attirant l’attention sur le fait que la transition à l’agilité n’est pas un long fleuve tranquille… mais peut pour autant s’opérer relativement rapidement. Orange a mis trois ans sur le volet opérationnel.