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La tribu sur laquelle le soleil ne se couche jamais

Rédigé par Thomas Dedieu | 21 mars 2024

"El imperio donde nunca se pone el sol"

"El imperio donde nunca se pone el sol", l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. C’est ainsi qu’aimait à se surnommer le Royaume d’Espagne, entre les 16ème et 18ème siècles, lorsqu’il régnait sur ces immenses territoires autour du monde, en Europe, en Asie et bien sûr en Amérique. D’autres empires, comme l’empire anglais au 19ème siècle, ou les Etats-Unis de nos jours se sont réappropriés l’expression.

C’est aussi comme cela que j’avais l’habitude de décrire l’une des tribus que j’ai récemment accompagné pour l’un de mes clients, multinationale dans le domaine de l’industrie chimique. Ce n’était certes pas un empire, mais cette tribu comportait près de 90 membres, distribués en 6 équipes et rôles transverses : Product manager, Release Train Engineer, Tech lead, System Architect… Ces membres se répartissaient sur 3 continents et 15 pays, de Houston aux Etats-Unis jusqu’à Shanghai en Chine, couvrant 9 zones horaires, soit 13 heures de différence. Aligner ces équipes sur une vision commune, faire travailler ensemble ses membres, se coordonner, se synchroniser, gérer les dépendances, faire vivre l’intelligence collective… sont des enjeux en soi, mais deviennent de véritables défis dans de telles conditions !

Définir les équipes, des contraintes temporelles

Tout d’abord, la définition des équipes. A la volonté de constituer des équipes multifonctionnelles, autonomes et alignées sur les chaînes de valeur s’ajoute la nécessité de tenir compte des décalages horaires : si au prix de quelques compromis en termes d’horaires, et d’une relative perte d’efficacité, on peut faire travailler ensemble un Product Owner en France et des développeurs en Inde, ou un Scrum Master à New-York et des analystes en Italie, les contraintes horaires imposent rapidement leurs limites à l’exercice. Pas d’autre choix alors que de considérer la zone géographique au moment de constituer les équipes.

Time is running out, optimiser la communication et la collaboration

Par ailleurs, les fenêtres temporelles où il est possible d’honorer la première des valeurs du manifesto Agile, “Individuals and interactions over processes and tools”, se réduisent mécaniquement, à mesure que se multiplient les fuseaux horaires séparant les interlocuteurs. Tout doit être fait pour en faire le meilleur usage. Ceci-étant les journées ne sont pas extensibles à l’infini, et il apparaît donc peu raisonnable de se passer de tous les moyens possibles de communication asynchrones : Google Space, Teams, Slack ou - horreur ! - de bons vieux emails. Pourquoi aussi ne pas en profiter pour tester des espaces de bureaux travail virtuels, tels que gather.town, qui est fun et simple d’usage (je recommande !) ? Mais prenez garde à ne pas multiplier les canaux de communication, au risque de la confusion et de la dilution de l’information. Par exemple, interagir directement dans les outils de management visuels tels que JIRA, ou de GCL tels que GitHub pour les développeurs, en “taggant” les uns ou les autres et en configurant finement les notifications, se révèle très efficace à l’usage.

Evidemment, le distanciel est le plus souvent de mise. Les préconisations d’usage s’appliquent alors de la même façon. Convenez ensemble de règles de réunions : timing, usage de la caméra, distribution de la parole…. Portez une attention accrue aux canaux de communication, à la qualité et tout particulièrement au niveau de réactivité attendu dans les échanges asynchrones : ils conditionneront directement la fréquence et la durée des réunions synchrones. Généralisez l’usage de supports visuels pour optimiser la diffusion de l’information, capter et conserver l’attention des auditeurs : du bon vieux slide Powerpoint aux outils de communication visuelle tels que MIRO ou Klaxoon.

Les grands événements, gérer les dépendances

Enfin, coordonner le travail de plusieurs équipes ayant des dépendances les unes avec les autres impliquent inévitablement des événements “à l’échelle”. Lorsque l’événement est court, telles que la “System Demo” du framework d’agilité à l’échelle SAFe, cela ne pose pas de difficultés. Par contre lorsque l’événement s’étale sur de nombreuses heures, et implique une communication et une collaboration intense, c’est une autre histoire. Le meilleur exemple : le “PI Planning” (toujours issu de SAFe). Le PI Planning, ce sont 2 jours pleins, composés de séquences en auditoire complet, ou en sous-groupes variés, et dont la valeur est directement liée à la qualité des interactions entre les 150 personnes qui peuvent composer les effectifs d’un “SAFe Agile Release Train” (ART).

Dans le contexte de ma tribu de 90 personnes se répartissant entre Asie, Europe et Amérique, cela implique nécessairement d’étaler l’événement sur 3, voire 4 jours ; c’est d’ailleurs ce que préconise SAFe depuis sa version 6). Il convient également de concentrer les réunions sur les milieux de journées, à l’heure française par exemple. Il m’a également été nécessaire de fractionner les “team breakouts” (des sessions ou les équipes se réunissent entre elles pour comprendre, estimer et découper les fonctionnalités attendues) entre matins et après-midis, et d’intercaler de nouveaux points de synchronisation internes à chaque équipe. À moins de disposer de Scrum Masters en nombre pour pouvoir assister les uns et les autres, il est indispensable de former et de responsabiliser autant que possible en amont les équipes et les contributeurs, afin qu’elles puissent suivre le processus de la façon la plus autonome possible. Pour autant, prenez garde à ne pas tomber dans l’écueil qui consisterait à anticiper et préparer l’événement trop en amont, le réduisant à une vaste chambre d’enregistrement, et le vidant ainsi de son sens.

💡 Des différences culturelles ? Peut-être vous attendiez-vous à ce que j’aborde la question des spécificités culturelles, et de la difficulté à faire travailler ensemble des gens si différents… Je dirais d’abord qu’il est préférable de manier cette question de façon prudente, tant elle peut être perçue ou interprétée différemment d’un pays à l’autre. Et puis j’ajouterai, et c’est de mon point de vue le plus important, qu’au travers de ces années passées à travailler avec des gens du monde entier, je n’ai jamais constaté que ces différences culturelles aient eu le moindre impact significatif sur la productivité, la qualité, la compréhension, ou sur les interactions entre les gens ou sur les processus de travail.

Une tribu internationale, un défi de taille

En conclusion, accompagner une tribu internationale dans un contexte mondialisé représente un défi de taille. Comme les grands empires du passé, qui ont dû coordonner de vastes territoires, notre tribu moderne doit surmonter des obstacles de distance et de temps pour travailler ensemble vers une vision commune. En tirant parti des outils technologiques disponibles, du meilleur des pratiques Agiles et en favorisant une culture de collaboration et de compréhension mutuelle, il est possible de transformer les obstacles en opportunités et de réaliser des succès durables dans un monde de plus en plus connecté et interdépendant.